Encore une petite balade à l’extérieur de l’académie Shaded sous l’astre nocturne et le ciel noir constellé de ces étoiles qui l’accueillaient parmi elles à chaque fois qu’il s’aventurait seul au milieu de la nuit tombée. Il n’y avait que ça de vrai pour le jeune vampire japonais au regard céleste. C’était maintenant devenu une petite – et non pas moins agréable – habitude de sortir chaque soir pour respirer un peu d’air frais, beaucoup plus agréable et revigorant la nuit que le jour. Son sourire constamment absent du masque d’impassibilité mélancolique qui couvrait son visage sous ses mèches de cheveux bruns fut remplacé par une lueur de bonheur dans son regard, faire luire le bleu de ses iris et faisant perdre à son visage une infime partie de sa mélancolie.

Poussant un léger soupir, il amorça sa marche le long de la rue, enfonçant ses mains dans les poches de son pantalon cigarette et toujours aussi peu perturbé par le froid et l’humidité en dépit du fait qu’il ne portait pas de veste par-dessus la chemise blanche qui constituait – en plusieurs exemplaires – son ensemble vestimentaire coutumier. La brise était faible, mais ça n’en rendait pas moins la nuit agréable à vivre de par sa fraîcheur habituelle. Comme à son habitude, il se laisserait guider par ses pieds et la destination que lui choisiraient cette fois ses amies célestes, en particulier celle dont la suprématie lui valait de manière amplement méritée le titre d’astre nocturne.

Il fit en chemin quelques rencontres intermittentes, que ce fussent en la personne de quelques ivrognes assis sur des bancs et entourées d’un arsenal de bouteilles à moitié consommées, ou bien de couples à l’âge varié, en passant par diverses personnes lambda qui se promenaient dans les rues pendant la nuit pour leur seul plaisir et dans un but inconnu que Kazuo ne cherchait pas identifier. En tout cas, tous – ou presque – le regardaient d’un air bizarres ou surpris, ou alors en lui adressant un sourire amusé, que Kazuo comprit très bien par le fait qu’il était le seul promeneur nocturne de ces rues à ignorer le port de la veste, pourtant bien conseillé pour les sorties sous le firmament étoilé. Nonobstant, cela indifférait le jeune homme, qui ne chercha pas non plus à exprimer ce fait, que ce fût par un haussement d’épaules ou bien par un autre geste qui aurait pu faire comprendre à ces individus ce qu’il ressentait.

Il continua son chemin de sa démarche toujours aussi légère, changeant quelquefois de direction pour éviter des fréquenter des endroits qu’il avait déjà connus et ainsi se priver des impressions de déjà vu. Son itinéraire avait beau être devenu quelque chose s’apparentant à un gribouillage fait au stylo ou au crayon, quelques indices environnementaux l’aidaient malgré tout à localiser la direction dans laquelle Shaded se trouvait, lui permettant ainsi de ne pas se plonger dans l’embarras de l’égarement.

Poursuivant aussi lentement que calmement son chemin, et cette fois ne changeant plus aussi souvent de direction pour la simple et bonne raison que les lieux lui semblaient de plus en plus inconnus, il put librement se laisser guider par sa promenade… puis par le soupçon d’un bruit qui ressemblait au râle harmonieux d’un pilier d’eau s’écrasant férocement sur une surface aqueuse, arrivant bientôt à un endroit devant lequel il n’avait jamais eu l’occasion de se trouver. Un endroit qu’il n’avait encore jamais vu de ses propres yeux, ni visité… mais un endroit qui ne manquait pourtant pas de splendeur, de majesté…

D’une hauteur stupéfiante, qui captivait le regard pour un certain moment dans le cas des personnes qu’il était plutôt aisé d’impressionner, d’un bruit mélodieux et constant que produisait l’atterrissage de la magnifique et imposante colonne d’eau qui tombait devant sa personne, la cascade s’affichait devant lui, éclatante d’une suprématie qu’elle n’hésitait pas à lui imposer de façon presque ostentatoire. Aussi ostensible qu’impitoyable…

Le visage stoïque, mais non moins émerveillé et impressionné intérieurement, le vampire de la Shaded Academy garda les yeux fixés sur cette merveille de la nature dont le chant aqueux ne faisait entendre sur plusieurs mètres alentours. La Shaded Academy l’avait déjà séduit par plusieurs de ses lieux, si ce n’était pas que par son caractère tolérant… il ne savait néanmoins pas qu’elle recelait un lieu aussi… fantastique… Il ne pouvait qu’ignorer de quelle façon cette majestueuse colonne d’eau pouvait apparaître devant lui sous l’astre incandescent, mais elle était splendide sous la lumière du satellite naturel… cela suffisait bien à Kazuo.

Ainsi, sans appui, sans rien pour lui permettre de s’adosser, de s’asseoir… il resta là, debout, le dos bien droit et les yeux fixés sur ce spectacle fourni par la nature elle-même, ne prêtant quasiment plus attention à rien de ce qui l’entourait…

Le soleil était tombé depuis longtemps désormais. Petit à petit, l'effervescence du jour avait laissé place à l'élégance de la nuit, et l'astre nocturne renvoyait à présent ses doux rayons sur l'entièreté de la ville aux abords de la Shaded Academy. Peu encline à passer son début de soirée prise entre les quatre murs de sa chambre, Ange avait favorisé une sortie en dehors de tout ce qui rapportait à l'immense école. Ainsi donc elle avait troqué sa chemise de nuit pour l'une de ses longues robes délicate faite d'une pure couleur blanche, associée au châle clair qu'elle portait bien que son statut de vampire lui eût arrachée toute crainte du froid, et s'était éclipsée en direction du centre.

Son éternel masque d'impassibilité posé sur son visage, elle avait traversé les rues les plus dénuées d'êtres diurnes rendus dans un état pour le moins déplorable, dans le but de s'aventurer vers la forêt. La nature ne l'avait jamais réellement passionnée, mais elle se sentait l'âme de se laisser aller à quelques contemplations des merveilles qu'offraient les lieux. Alors elle s'arrêta tout d'abord au lac, fixa le reflet de la Lune sur cette grande étendue miroitante avec intérêt et leva finalement les yeux au ciel. Le manteau de la nuit était recouvert de milliards d'étoiles plus belles les unes que les autres, éveillant chez Ange un intérêt soudain pour cette race de créatures fantastiques qui portaient son prénom.

Elle ne s'y attarda toutefois pas, et déserta les lieux sans plus attendre, s'enfonçant ainsi un peu plus dans la forêt. Les yeux dans le vague, elle occupa ses pensées du mieux qu'elle pût, s'interrogeant intérieurement sur les causes de cette peur infondée que certains êtres humains présentaient envers ce simple regroupement d'arbres. Néanmoins, ces futilités disparurent de son esprit aussi rapidement qu'elles furent arrivées, remplacées par la symphonie pour le moins envoûtante de la cascade que cachaient ces bois.

Curieuse, Ange s'extirpa d'entre les arbres qui lui empêchaient l'accès à l'immense colonne d'eau et son coeur rata un battement. Le spectacle était des plus merveilleux, captivant, à couper le souffle. Elle qui était si peu impressionnable se retrouvait admirative d'une telle beauté. Son regard azuré d'ordinaire dénué d'expression se voila d'un semblant de fascination mais elle ne bougea pas, comme figée. La Lune renvoyait sur l'eau des rayons argentés qui se plaisaient à accentuer le côté si fantastique que présentait d'ores et déjà cette merveille naturelle.

Après quelques secondes figée ainsi, la jeune femme clôt doucement ses paupières, concentrée sur le son harmonieux de l'eau qui s'abattait pour le moins violemment sur la surface faite de la même matière en dessous. A la fois doux et sauvage. Ce genre de choses sont comme les femmes, au premier abord séduisantes mais des plus dangereuses si l'on s'en approche de bien trop près. Un imperceptible sourire anima les lèvres d'Ange lorsqu'elle revît ces paroles, prononcées par son père adoptif il y avait de cela quelques années. La nature était impitoyable.

Elle fût toutefois arrachée à ce vague retour de ses anciens souvenirs par une petite brise caressant son visage, emportant avec elle l'écharpe légère qu'Ange portait. Stoïque, elle regarda le morceau de tissu s'envoler un peu plus loin, mourir sur le sol et... Une paire de chaussures masculines apparût dans son champ de vision. Elle ne broncha pas, releva les yeux sur ce nouvel arrivant ayant présentement un pied posé sur son vêtement, et s'avança vers lui d'un air aussi impassible que d'ordinaire. Là, elle n'hésita pas à lui tapoter l'épaule, les yeux posés sur son châle, et marmonna :

- Excusez-moi. J'aimerai récupérer mon châle si cela est possible..

Elle ne releva pas les yeux, non pas parce qu'elle était timide ou autre, non. A vrai dire elle se fichait éperdument de ce qu'il allait lui répondre, tant qu'elle récupérait son bien.

La cascade. Une magnifique colonne d’eau tellement uniforme qu’elle semblait n’être qu’une sculpture gigantesque et mirifique, constituée exclusivement d’eau… et dont la magnificence était accrue par la clarté de la lune. Seul son chant mélodieux ôtait de moitié l’impression que cette merveille de la nature était figée, rappelant qu’elle existait bel et bien, qu’elle vivait… fredonnait… respirait…

Quelque chose attira néanmoins l’attention du jeune homme brun. Un bruit de pas… quelqu’un venait par ici. Selon l’aura qu’il sentait, le jeune vampire de Shaded n’eut pas l’impression de devoir se sentir en danger, menacé. Il ne bougea pas d’un millimètre… du moins jusqu’à ce qu’il sentît quelque chose de fin et léger lui tapoter doucement l’épaule, comme si quelqu’un voulait l’interpeller pour une raison quelconque. Le dos toujours aussi droit, les mains à la même place, le visage arborant toujours la même expression et ne voyant aucune raison de redouter la collision de son visage avec un poing fermé, il tourna doucement la tête, détachant ses yeux du sublime spectacle qui s’offrait à lui afin de s’enquérir de ce qui lui avait arraché son attention. Il avait bien sûr pu identifier la nature de l’aura que dégageait la personne qu’il venait de percevoir comme celle d’un vampire… non… d’une vampire. Une belle jeune femme aux cheveux bruns qui le regardait d’un air impassible, lui demandant s’il pouvait avoir l’amabilité de lui ramasser son… châle ? Kazuo baissa les yeux.

En effet, un châle blanc, en soie apparemment légère et fragile. Et pourtant il se trouvait juste là, précisément sur son pied, coincé sous la semelle de sa chaussure noire. Il leva à sa nouvelle interlocutrice un regard qu’il voulut désolé, mais qui fut difficile d’exprimer totalement. En tout cas, sans perdre davantage de temps, il ôta son pied de l’étoffe de soie et se courba pour la saisir avec une délicatesse qui aurait surpris bon nombre de personnes ne le connaissait que par son apparence froide et inaccessible. Il dressa le châle devant ses yeux et essuya doucement la trace qu’il avait faite sur le textile d’une main habile. Pendant qu’il la nettoyait précautionneusement, il regarda derechef celle qui venait de le faire ressortir de la solitude pendant le court instant que durerait cette rencontre pour le moins inopinée.

-J’espère que cela ne vous importune guère que j’entreprenne de mon propre chef de nettoyer la souillure que j’ai malencontreusement infligée à votre bien… lui dit-il alors de sa voix qui n’était toujours pas parvenue à se débarrasser de sa morosité.

Cela étant dit, il rebaissa son regard sur le vêtement, son ouïe allant s’aventurer indépendamment de sa volonté du côté du chant toujours présent de la cascade qui s’écoulait juste à côté d’eux, de la même manière que s’écoulait actuellement le temps pendant lequel cette nuit durerait. Puis, sans relever ses yeux du châle dont la tâche laissée en souvenir par sa semelle commençait enfin à décliner sous les frottements soigneux de ses mains, il reprit sans changer de ton :

-Magnifique paysage, n’est-ce pas ? On y resterait sempiternellement si la nuit pouvait être pérenne… il haussa les épaules. La nature est malheureusement conçue ainsi, et m’exposer au monde extérieur pendant que le soleil parcoure sa trajectoire quotidienne ne me séduit pas réellement.

Pour la troisième fois de la soirée, il redressa la tête pour la regarder, n’interrompant pas son geste de nettoyage sur la délicate étoffe qui serait bientôt de nouveau immaculée.

-Mon appellation est Kazuo Kiriyama. Vampire de la Shaded Academy. Enchanté de faire votre connaissance, fit-il. Même si les circonstances sont quelque peu embarrassantes. se surprit-il ensuite à penser.

Il replongea suite à cela son regard bleu sur l’étoffe. Visiblement, la tâche avait fini par disparaître. Fermant doucement les yeux pour remplacer le sourire de satisfaction qui aurait dû étirer ses fines lèvres, il tendit son bien à la jeune personne qu’il venait de rencontrer, la regardant à nouveau dans les yeux après les avoir rouverts au moment où il avait amorcé ce dernier geste.

-Tenez. Et encore désolé pour le désagrément que je vous ai causé.

Elle n'avait pas cherché qui il était, puisque dans tous les cas elle s'en préoccupait trop peu pour y accorder un semblant d'attention. Mais cette aura quelque peu semblable à la sienne ne trompait pas. Un vampire. Il était le premier qu'elle "rencontrait" depuis son arrivée ici. À tous les coups il l'avait sentie venir, mais il ne broncha pas, les yeux rivés sur le spectacle naturel qu'était cette merveilleuse cascade, et lorsqu'il daigna tourner la tête vers elle, ce fût à son tour de ne pas bouger. Elle reporta toutefois bien vite son regard sur son châle, étendu sur le sol, coincée sous le pied de cette homme, ne prêtant pas l'ombre d'une attention au regard désolé qu'il lui offrît.

Non, elle ne faisait pas preuve de vilaines manières, elle n'avait pas non plus un caractère de cochon, mais elle ne désirait pas se fatiguer dans des paroles futiles afin de le rassurer quant au fait qu'il écrasait présentement son vêtement. Elle se décala tout de même lorsqu'il se pencha pour ramasser son châle, s'attendant à ce qu'il le lui rendre dans cet état mais elle ne pût s'empêcher de vriller son regard dans le tien lorsqu'elle le vît commencer à nettoyer le tissu. Ange entrouvrît ses lèvres, comme pour parler, mais son vis-à-vis la devança :

-J’espère que cela ne vous importune guère que j’entreprenne de mon propre chef de nettoyer la souillure que j’ai malencontreusement infligée à votre bien…

Elle s'obstina à le fixer, impassible, bien que quelque peu prise de court par cette façon de parler quelque peu trop distinguée à son goût. Elle qui n'avait pas particulièrement d'affinités avec les formalités se retrouvait face à un vampire gentleman à souhait. La jeune femme ne répliqua pas. A quoi bon ? Il s'était déjà autorisé à le faire.

-Magnifique paysage, n’est-ce pas ? On y resterait sempiternellement si la nuit pouvait être pérenne… La nature est malheureusement conçue ainsi, et m’exposer au monde extérieur pendant que le soleil parcoure sa trajectoire quotidienne ne me séduit pas réellement.

Cette fois-ci, sa voix s'éleva, aussi inexpressive que d'ordinaire, semblable au regard qu'elle lui offrait.

- Magnifique, en effet. Mais y rester éternellement serait également vain dans la mesure où toute chose est éphémère. Le limon finira par tout recouvrir, ou la source qui abreuve la cascade s'épuisera, et l'existence que vous auriez passé à admirer cette colonne d'eau sous l'astre nocturne s'en verra rendue entièrement futile.

Ange haussa les épaules à son tour. Soit, elle en avait certainement trop dit. Mais mieux valait qu'elle prononce ce qu'elle avait à dire, non ? Suite à cela, la jeune femme vrilla à nouveau ses deux iris azurés dans ceux de son interlocuteur et elle reporta bien vite son attention sur son châle, bientôt propre, lorsqu'il se présenta à elle.

-Mon appellation est Kazuo Kiriyama. Vampire de la Shaded Academy. Enchanté de faire votre connaissance.

Vampire de la Shaded Academy ? Inconsciemment, elle détailla brièvement son visage, étonnée de constater que mine de rien il semblait attirant, mais n'en démontra rien. Leurs yeux étaient semblables, l'impassibilité que portaient leurs visages également, c'en était presque... Étrange. Étrange ? Pour quelles raisons futiles se laissait-elle aller à ce genre de constatations ?

-Ange Penelope Archibald. Je suis également une vampire de la Shaded Academy. Le plaisir est pour moi.

Sur ces mots, elle reprît son écharpe, inspecta le tissu à l'endroit où la tâche apparaissait il y avait encore quelques instants de cela, et son attention se reporta sur le dénommé Kazuo lorsqu'il s'excusa de la contrariété qu'il avait engendré mais elle ne lui en tînt pas rigueur, balayant ses excuses d'un vague geste de la main.

-Ce n'est rien. Vous ne l'aviez pas vu, et puis ce n'est qu'une étoffe.

Bien que ce châle fût quelque peu cher à ses yeux. Toutefois, c'étaient bien plus ses formalités qui agaçaient Ange plus que ses actes.

Avant de reprendre ce qui lui appartenait de plein droit, la jeune vampire entreprit de le dévisager lorsqu’il lui avait dévoilé ces détails de son identité. Il se demanda un court instant ce qu’elle était en train de faire, de rechercher… Est-ce que son nom lui disait quelque chose ? Il n’avait pourtant pas le souvenir de l’avoir croisée un jour… les archives de sa mémoire ne contenaient même pas son nom. Ou alors était-ce tout simplement le nom de l’établissement scolaire auquel il était affecté qui l’avait fait ainsi réagir ? Cela ne l’étonnerait pas vraiment. Après tout, cette académie abritait de nombreux représentants de différentes races, ce qui le rendait plutôt peuplé. Il avait juste eu une certaine fortune d’être tombée sur une personne appartenant à la même race que lui, sur tous les autres individus sur lesquels il aurait pu tomber devant ce spectacle aussi naturel que féérique. En tout cas, il la dévisageait aussi… plongeant son regard dans le sien… et se préparant au fait qu’elle venait elle également de Shaded.

Puis elle sépara ses lèvres pour enfin lui offrir les détails de sa propre identité, son air imperturbable toujours aussi inébranlable qu’il l’avait été depuis qu’il avait posé les yeux sur elle, son attention arrachée par les petits tapotements de doigt sur son épaule pour lui demander se récupérer son écharpe. Ange Penelope Archibald, elle aussi – tout naturellement – de l’académie Shaded. Cela confirmait ses impressions : elle l’avait dévisagé car il était inscrit au même établissement qu’elle et cela l’avait plus ou moins intriguée.

Il la regarda longuement, fixant ses yeux au fond des siens, avant d’enfin reprendre la parole :

-Enchanté, moi aussi, de faire votre connaissance.

Ensuite de quoi elle balaya ses excuses en lui prétendant que cela n’était rien davantage d’autre qu’un misérable bout de tissu blanc. Un misérable bout d’étoffe que ses yeux n’avaient pas permis à son pied d’éviter. Il ne répondit rien, comme il en avait l’habitude désormais, et se contenta de reporter son attention sur la cascade qui s’écoulait en chantant infatigablement.

-Vous avez raison, je l’admets… Ça ne se voit pas du premier regard, mais la nature est éphémère, aussi longtemps qu’elle puisse perdurer…

Il n’ajouta rien, mais ne pensa pas moins que c’était bien dommage que la nature pût avoir un tel désavantage. Sans tourner la tête vers Ange, son attention visuelle restant focalisée sur la magnificence captivante de ce spectacle aqueux qui semblait n’être qu’un fragment de Paradis égaré quelque part sur la Terre, il remua à nouveau les lèvres, sa parole leur échappant à une nouvelle reprise.

-Vous m’avez dit que votre châle n’était qu’un bout d’étoffe. Ceci je le conçois… Mais vous avez pourtant l’air d’y tenir particulièrement, je me trompe ?

Il se tourna alors finalement vers elle, ne pivotant sa tête que de quelques centimètres et se servant de ses yeux pour combler les derniers restants, la faisant ainsi rentrer dans son champ de vision.

-Pardonnez-moi si je suis indiscret, mais j’ai pu m’apercevoir que vos yeux ont légèrement contredit vos paroles… Et ma curiosité, pourtant pas vraiment développée, me joue parfois des tours quand ça lui chante.

Il se tourna ensuite vers elle, trouvant incommodant de devoir poursuivre l’échange verbal de dos à son interlocutrice. Tant pis pour la cascade… après tout, il avait plus ou moins su mémoriser la trajet qui le guidait jusqu’à elle : il aurait encore d’autres opportunités d’aller lui rendre visite pour combler comme jamais le besoin de distraction qui germait en lui à chaque fois que la nuit tombait sur le monde, accompagnée de sa lune, elle-même secondée par les étoiles.

Elle ne cilla pas, les yeux rivés sur la cascade bien qu'elle fût encore face à lui. Elle l'écoutait soit, d'une oreille distraite, fascinée par ce spectacle naturel qui s'écoulait sous ses yeux et elle le gratifia d'un simple hochement de tête lorsqu'il lui communiqua son enchantement quant à leur rencontre. Un léger soupir admiratif filtra alors de ses élégantes lèvres rosées et elle reporta le bleu azuré de ses yeux sur son interlocuteur.

-Vous avez raison, je l’admets… Ça ne se voit pas du premier regard, mais la nature est éphémère, aussi longtemps qu’elle puisse perdurer…

Ange se permît un vague sourire. Ni spécialement ironique, ni même chaleureux, à vrai dire son visage demeurait dénué d'émotion quelconque bien qu'elle tenta de traduire son intérêt à travers l'étirement du coin de ses lèvres. Pourtant, elle ne répliqua pas à ces mots, ne jugeant pas cela réellement nécessaire. Débattre sur l'existence éphémère de cette cascade du fait que l'eau se tarira n'était pas au centre de ses préoccupations actuellement.

-Vous m’avez dit que votre châle n’était qu’un bout d’étoffe. Ceci je le conçois… Mais vous avez pourtant l’air d’y tenir particulièrement, je me trompe ? Pardonnez-moi si je suis indiscret, mais j’ai pu m’apercevoir que vos yeux ont légèrement contredit vos paroles… Et ma curiosité, pourtant pas vraiment développée, me joue parfois des tours quand ça lui chante.

Elle mît un certain temps à lui répondre, détournant son regard de lui pour le déposer sur la cascade à sa droite, comme si en un sens elle recherchait à rendre sa réponse plus vague qu'elle n'aurait dû l'être.

- Il s'agit là d'un modeste bout de tissu ayant appartenu à ma défunte mère. Il est assez cher à mes yeux, en effet, mais le fait de le salir un peu ne me pose pas spécialement de problèmes, et au risque de me répéter je ne pense pas que vous l'ayez fait volontairement.

Son sourire s'élargît un peu plus, signe qu'elle ne lui en voulait aucunement. Non, en réalité Ange était absolument indifférente à ce genre de détail. En revanche, s'il l'avait abîmée, ou encore déchirée, sa chère et tendre écharpe, elle n'aurait certainement pas réagi d'une manière aussi nonchalante. Alors elle s'affaira à plier soigneusement son étoffe pour la garder contre son coeur avant de porter son attention sur Kazuo.

- Vous ne devriez pas vous attarder sur ce simple détail.

[HRP : Désolé pour l'attente...]

Tandis qu’il parlait, il eut la vague impression qu’Ange ne l’écoutait pas, mais il lui sembla paradoxalement qu’elle lui prêtait oreille malgré l’air détaché qu’elle affichait sur son visage aussi impassible que le sien. Elle avait les yeux fixés sur la cascade comme si elle l’entendait s’adresser à elle… idée plutôt aberrante, bien évidemment. Après, quelqu’un, voire quelque chose, pouvait effectivement se trouver derrière la chute d’eau dans un renfoncement de la paroi rocheuse qu’elle couvrait de son corps fluide et aqueux… ?

Il s’était doucement tourné vers cette jeune femme à l’apparence fantomatique que lui conférait c’est inexpressivité et lui posa donc sa question sur ce châle qu’il avait coincé entre le sol et sa semelle sans s’en rendre compte. Elle l’avait regardé, puis reporté son attention sur la cascade. Kazuo, dont les oreilles entendaient les appels de cette même merveille naturelle, choisit de ne pas y répondre et de continuer à porter son attention à son interlocutrice du moment. Elle finit par daigner lui répondre.

Un châle ayant été jadis la propriété de sa mère qui s’en était donc allée en destination d’une contrée plus que lointaine dans laquelle le commun des mortels ne pouvaient en aucun cas s’aventurer. Un châle qui n’était ainsi qu’une relique laissée par le membre le plus cher – en théorie – de sa famille. Bien qu’il lui fût plutôt fétiche, le fait qu’il l’eût légèrement maculé n’avait pas eu l’air de la déranger plus qu’il ne l’avait cru. Il ne regrettait cependant pas de l’avoir nettoyée à la seule aide de ses mains, bien loin de là.

Il hocha légèrement la tête en fermant les yeux et tournant derechef la tête en direction de la cascade qui chantait inlassablement à leurs oreilles. Un chant dont les paroles pouvaient bien être : "Regardez-moi, écoutez-moi.". Et bien d’autres possibilités s’offraient à eux. Seulement, pour le moment, celles-ci semblaient être les seules paroles qu’elle tentait par tous les moyens possibles de glisser à leurs oreilles pour leur rappeler qu’elle existait et qu’elle voulait qu’on le sache… ou bien qu’on l’aime. En effet, quand on y pensait, c’est vrai qu’elle devait se sentir seule, perdue au beau milieu de la nature dans cet endroit isolé du monde, à chanter pour personne et à attendre continuellement qu’on vienne lui rendre visite, lui faire sentir qu’elle existe, qu’elle ne chante pas que pour elle-même… qu’elle ne chantait pas vainement.

-Je vois.

Ce furent les deux seuls mots qu’il prononça en réponse à celle de la jeune femme qui se tenait à côté de lui. Il n’y avait en effet pas grand-chose à dire, sans compter que dans son esprit se formait une pensée sculptée par ladite réponse, mais qui n’avait pour destinée que rester tacite : ce châle comptait beaucoup pour elle en tant que relique de sa défunte mère, mais le fait que quelqu’un la salisse ne serait-ce qu’un peu l’indifférait… seulement, cela l’amenait à la conclusion que si on faisait quelque chose d’un peu plus grave à ce bout de tissu, elle laisserait cela passer bien moins facilement…

Et en effet, cette pensée n’était pas à dévoiler. C’était bien mieux comme ça. Il pensait ainsi, peut-être faisait-il fausse route… mais il se disait qu’il vaudrait mieux faire fausse route que s’intéresser à ça et risquer un travers.

Il la vit ensuite du coin de l’œil serrer cette étoffe contre sa poitrine en le regardant. Par réflexe ? Par courtoisie ? Ou bien par devoir ? Il n’en sut rien… juste qu’il tourna à nouveau la tête vers elle pour la regarder dans les yeux. Il ne lui fallut rien de plus pour confirmer ses conclusions – ou hypothèses, à vous de sélectionner le bon terme – et le sourire qui aurait dû intervenir à ce moment-là s’exprima par le biais de la lueur de ses yeux à la couleur célestes comme à son accoutumée depuis son âge le plus jeune et innocent de sa courte vie d’hématophage.

-Quelqu’un de philosophique dirait que votre mère est restée dans ce châle, pour que vous y teniez autant. Mais… finit-il par dire, si cela ne vous dérange pas, pourriez-vous me parler de vous, ne serait-ce qu’un peu ?