La nuit. Encore et toujours. Et à l’extérieur de l’établissement scolaire Shaded. Là se promenait comme un esprit errant, sans une véritable destination, sans un véritable itinéraire en tête, un jeune homme brun asiatique, vampire asiatique, au regard céleste et impénétrable et à la démarche légère et flottante donnant l’impression qu’il se jouait de la gravité. Ses pieds marchait, ses mains dormaient dans ses poches de pantalon, ses yeux regardaient droit devant lui, sa bouche restait close, son dos toujours aussi droit. Il n’y avait personne, la nuit ne le décevait toujours pas. La solitude ne l’avait toujours pas trahi après avoir sympathisé avec lui. Seuls les réverbères dont la lumière allumée ne tarderait pas à s’éteindre semblaient le saluer, l’apprécier. Son visage demeurait impassible, mais il les saluait en retour.

Silencieux, calme, régulier… il continuait sa route sans pouvoir se sortir de la tête le visage de cette personne qui était devenu le protagoniste de ses pensées. En fermant les yeux, en ouvrant les yeux, il pouvait malgré tout et dans tous les cas observer chaque détail de son visage délicat, de la douceur de sa peau jusqu’à la finesse et la souplesse de ses cheveux. Pourquoi n’arrêtait-il pas de penser à cette personne ? Non, vous n’étiez pas les seuls à vous poser cette question : le jeune vampire japonais en cherchait également la réponse à longueur de journée. Chaque seconde de sa vie portait en elle cette question, chacune de ses respiration en cherchait la réponse, pour se la reposer ensuite… avant que son visage ne lui réapparût derechef, interrompant ainsi que son enquête intérieure et personnelle.

En fait, il s’en apercevait à quelques reprises, mais c’était plutôt son côté revêche dominant sa personnalité de démone qui retenait ainsi son attention.

Perdu dans ses pensées, il arriva alors enfin à un endroit qui ne lui était pas complètement inconnu. Les réverbères n’avaient toujours pas perdu sa trace et la lumière continuait d’éclairer la voie qu’il suivait depuis le début de cette énième promenade nocturne. Il regarda autour de lui, mais n’esquissa pas un sourire, mais si celui-ci venait à l’instant de lutter pour s’extérioriser et fait vivre son visage rien qu’une fois et quelques instants. Cet endroit… ce moment de la journée… cette ambiance… Il n’irait pas jusqu’à penser que c’était le même endroit, mais il se souvenait parfaitement que cet endroit avait été le théâtre de sa rencontre avec cette jeune femme.

Il était arrivé dans cette ruelle en marchant, les mains dans les poches, avait vu un banc non loin de lui, s’était assis dessus… avait reposé son corps sur ledit banc et y avait presque laissé divaguer son esprit. C’était ce moment-là qu’avait choisi cette belle personne pour faire son apparition.

Maintenant il se trouvait là, dans les ruelles, la nuit, avec la même atmosphère fraîche et silencieuse que la dernière fois qu’il l’avait vue. La dernière fois qui avait également été la première… mais amplement suffisante pour que sa mémoire agisse comme le plus sophistiqué des appareils photos afin d’afficher son beau visage sur les murs de ses pensées à la manière d’un gigantesque poster qui masquait tout – ou presque – ce que son esprit avait visualisé.

Son nom ? Il était resté avec le visage de cette fille. Il s’en souvenait comme si c’était le sien, comme s’il s’était imprégné en lui, dans tout son être. Kathleen Von Sternberg. Son nom en entier. Elle ne le lui avait dit qu’une fois, il l’avait répété… sa mémoire n’en avait pas réclamé davantage. Elle avait ouvert ses portes à ce nom et à ce visage et les avait fermées à clé. Son nom, son visage, son regard... tout. Tout était resté. Même la lueur perfide qui régnait dans ses yeux rouges. Une lueur de perfidie habilement cachée par la dureté apparente de ce regard, lui donnant ainsi un air… démoniaque.

Que n’aurait-il pas donné pour la rencontrer à nouveau… ! Dans les ruelles, qui plus est… Elle n’était pas la plus douce des femmes, la plus gentille, mais que voulez-vous ? Il aimerait bien la revoir.

Dans tous les cas, il continua son chemin, étant assez intelligent pour se dire que cette fille qui régnait dans ses pensées ne réapparaîtrait plus comme ça, devant lui, au moment le plus ou le moins inattendu. Sa démarche légère et flottante le guida alors encore et toujours plus loin dans le chemin que la lumière des réverbères lui offrait toujours…

Les étoiles scintillaient de plus belle, la lune éblouissait les rues, la brise légère caressant mon visage, la froideur des murs qui se faisait sentir tout le long de mes bras. Depuis le début de cette soirée tout ce passait comme je le voulais.

Comme toutes les nuits, j’avais pris cette fâcheuse habitude de sortir me promener. Bien grand mot n’est-ce-pas ? Effectivement, se balader n’était pas le mot le plus approprié. Tout dépendait de mon humeur, ce que je voulais faire. Tout simplement. Mains dans les poches, short moulant, collants mi-bas déchirés, j’épiais les couples, scrutais leur moindre parole. Flatterie, caresse, paroles apaisantes délivrées à l’oreille. L’effet fut extraordinaire. En quelques mots, l’homme arrivait séduire une femme. D’un long soupir, je traçais ma route. Si faible, si naïve. Comment pouvaient-elles tomber aussi facilement amoureuses de ces êtres inférieurs démunis d’intelligence ? Je n’en savais rien. Après tout, toute femme y est tombée au moins une fois dans sa vie. Malgré elle. Par désir, par gourmandise. Poussée à bout par un esprit malveillant. Devant un homme, dont la beauté dépassait le seuil d’existence. Un être qui, par réflexion, ne pouvait en aucun cas appartenir à la race humaine.

Les femmes n’étaient pas des saintes non plus. Séduisantes, alléchantes… rien ne pouvait leur résister. Mais pour la plupart, elles n’utilisaient que leur corps comme moyen de défense ou d’arme. Tout dépendait de la situation à laquelle elles s’étaient retrouvées auparavant. J’en faisais partie même ! De bonne grâce, on m’avait offert un corps parfait, physiquement plus mature, plus impressionnant pour mon âge. La nature m’avait minutieusement créée pour remettre en place le sexe masculin. Leur prouver à quel point, nous, êtres féminins, n’étions pas que de simples objets de leur fantasme abject.

La lueur de la lune affaiblie, seuls quelques lampadaires m’éclairaient. Je n’étais plus seule, en compagnie de mon ombre, nous parcourions l’une des petites ruelles, longue et sans fin à l’œil nue. Mes pieds au contact des flaques d’eau laissaient ressortir un bruit. De vive allure, cet écho, en à peine quelques secondes, avait parcouru la moitié du chemin. Sans effort notable. Hélas, nous n’étions pas aussi rapides que le son lui-même.


Cette ambiance plutôt glauque, me fît légèrement frémir. Bruit court ou puissant, on pouvait tout entendre. Les pas, le grisaillement de l’ampoule en fin de vie. Quel était le plus rassurant ? Le calme ou le bruit ? De toute manière, ces deux choix arrivaient toujours à nous donner une sensation de frayeur, quelque soit le lieu ou l’ambiance donnée au départ. Matinée ou soirée.

Non loin de moi, j’arrivais à percevoir une silhouette masculine. Il était seul et n’avait pas l’air de regarder dans ma direction. Mon regard se fît plus monstrueux, accompagné d’un magnifique sourire montant jusqu’aux oreilles. J’avais trouvé ma nouvelle victime ! Enfin ! Mes ailes de nouveaux libres, les nuages qui roulaient dans le ciel avait complètement étouffées la lune, le vent quant à lui sifflait, gémissait. En à peine quelques instants, il était devenu si bruyant.

L’air de la nuit avait lui aussi changé. De température. Comme si d’un simple claquement de doigt, Dame Nature avait voulu (par caprice) s’amuser avec le temps. Je m’en fichais, tant qu’elle ne me gênait pas dans mes activités. Lentement, je m’approchai de lui, marchant sans le vouloir sur une branche d’un arbre (qui avait surement dû me faire repérer), je me mis donc à courir dans sa direction pour rattraper le coup, d’une telle vitesse que mon cœur allait presque transpercer mes côtes, peu habitué à ce genre de changement d’attitude.

Une main sur le cou, l’autre sur ses lèvres. Je venais lui susurrer à l’oreille des menaces avant de me rendre compte que cet homme ne m’était pas inconnu.

• « Que … ! »

Je le bousculais assez violemment par terre avant de reculer de plusieurs pas. Surprise et à la fois agacée, je ne pensais pas le revoir de sitôt. Son nom ? Je ne m’en souviens plus. Cela dit, il avait sûrement dû oublier le mien aussi. Nous ne nous étions vus qu’une seule fois, dans l’une des ruelles, la nuit. Il était donc probable qu’il m’eût effacée de ses souvenirs. Demi-tour rapide, on put entendre le frottement entre le béton et la pointe crochue de mon talon.

• « Tu devrais rentrer chez toi, c’est un conseil. »
  

Pensez-vous vraiment que ce type était digne d’entendre ma voix la plus douce, la plus innocente ? Non. Je restais agressive jusqu’au bout. Si je n’avais pas reconnu cette chevelure épaisse, ces joues d’une pâleur phénoménale, ce style vestimentaire, il ne serait sans doute plus de ce monde. On appelle cela, la clémence d’un être supérieur. Voila ce qu’il avait eu.

Continuant de marcher le long de la ruelle avec la même posture et la même démarche, le jeune homme brun cessa de regarder droit devant lui, ralentissant, voire stoppant sa marche à quelques occasions afin de balader son regard bleuté sur les alentours de l’endroit où il se trouvait… même s’il n’y avait rien de réellement intéressant dans ce lieu, rien qui pouvait attirer son regard ; rien de captivant… qui pourtant le captivait. Un banc, un tag sur un mur qui ne ressemblait pourtant pas à grand-chose, quelques détritus qui trainaient par-ci par-là, des branches perdues sur le sol… ou encore des poubelles renversées. Il tourna la tête, légèrement baissée, vers sa direction, tout droit, en poussant un soupir las.

-Plus personne n’a donc de respect pour l’environnement, de nos jours… pensa-t-il. C’est bien affligeant… mais je suppose que l’on ne peut changer grand-chose, aujourd’hui.

Il haussa les épaules, tout en continuant de se laisser guider par ses pas, regardant toujours droit devant lui. Il se demanda même à un moment donné s’il ne finirait pas par tomber sur quelque chose qui lui barrerait la route… comme un mur, ou bien un territoire de gang… si ce n’était une petite bande de voyous qui avaient de nos jours l’habitude de se balader dans les rues pour empoisonner la vie à des gens qui n’avaient pourtant rien demandé…

Il poussa un nouveau léger soupir. Après tout, même si tombait sur quelques moins que rien au cours de sa route… qu’est-ce qui l’empêcherait de se défendre ? N’était-il pas un vampire ? Et n’avait-il pas pour principe de se servir de ses canines plus développées que celles d’un humain pour mordre la chair fraîche ou s’abreuver du sang de ses victimes s’il se sentait en danger ou bien si on le lui demandait… gentiment ? En tous les cas, cette supposition ne le dérangerait pas le moins du monde. Boire du sang d’humain… si on le menaçait. Même si, de son statut de vampire, il ne risquait pas pour autant la mort, il n’hésiterait pas. Pas une seconde…

Perdu dans ses pensées, il ne perçut pas tout de suite l’aura d’une personne qui n’était pas familière à sa race de buveurs de sang. Une aura qui n’était pas similaire à sa race… mais qui lui était, à lui personnellement, bien reconnaissable.

Lorsque ses sens lui permirent enfin de percevoir cette aura, le soustrayant peu à peu à ses pensées plus sombres les unes que les autres, sa marche s’arrêta, son visage se figea légèrement, ses sourcils se relevant de quelques millimètres et ses yeux s’écarquillant de la même façon ; sa bouche s’entrouvrit avec le même écart, laissant échapper un léger son de ses lèvres, si faible qu’il ne serait pas étonné d’avoir été le seul à l’entendre. Le vent, quand à lui, faisait danser sa chevelure sombre et ses vêtements, tandis que son corps restait immobile…

-Non… ce serait… ?

Il se retourna lentement afin de vérifier par ses yeux célestes si son sens de la perception ne l’avait pas dupé… il n’avait même pas commencé à bouger que le bruit d’une branche cassée l’interpella et le fit se retourner un peu plus rapidement qu’il ne l’avait souhaité. Cette personne était-elle donc… ?

Il sentit une main se plaquer sur ses lèvres, une autre sur son cou. La surprise se manifestant à peine par ses yeux pas assez écarquillés pour le montrer, il put voir son visage. Un visage délicat, séduisant, harmonieux, encadré de ces mêmes cheveux dont la couleur oscillait entre le blanc et le gris, avec ces yeux rouges qu’il n’avait pas oubliés… Et ce sans oublier ces ailes qui dépassaient de son dos. Des véritables ailes de démon ! Deux organes qui avaient un air effrayant, inquiétant, imposant… cauchemardesque. Ses paupières supérieures se soulevèrent encore de quelques millimètres afin d’exprimer le sentiment de crainte qu’il éprouva sur le coup lorsque son regard bleu et perçant rencontra ce couple d’appendices sans doute typique, propre à la race démoniaque.

C’était elle !

Et elle eut même l’air de se rendre compte également que c’était lui. Sinon, pourquoi l’aurait-elle bousculé ? Pourquoi aurait-elle reculé ? Pourquoi aurait-elle interrompu ce qu’elle avait prévu de lui faire avant de le reconnaître et qui n’aurait sûrement pas été très jubilatoire au vu de ce regard qu’elle lui avait jeté ? Un regard si… démoniaque…

Lorsqu’elle le bouscula, il manqua de perdre son équilibre mais parvint à se rattraper à l’un des murs de la ruelle auquel il s’appuya dès qu’il sentit son contact. La tête baissée vers le sol afin de mieux caresser son menton du dos de la main, il finit par la redresser, afin de mieux voir la personne qui se tenait en face de lui. Son visage restait impassible, mais il se sentait quelque peu… content. Content de la revoir, surtout qu’il s’était résolu au fait que ses chances de retomber face à elle dans ce genre d’endroit avoisinaient le chiffre nul… pour ne pas dire l’égalaient.

Le sentiment de crainte inspiré par les ailes ayant été plutôt furtif, la lueur qui emplit maintenant ses yeux remplaça alors le sourire amusé, intrigué et énigmatique qu’il aurait dû esquisser lorsqu’elle lui lança sa remarque sur un ton sec et agressif.

-Kathleen Von Sternberg… prononça-t-il d’une voix un peu moins morne et manquant de vie qu’il n’en avait la coutume.

Il se redressa, remettant ses mains dans ses poches et la fixant droit dans les yeux à travers les mèches brunes qui tombaient devant les siens.

-Rentrer chez moi, dis-tu ? Alors que c’est un tel plaisir de te revoir… dans ce genre d’endroit, qui plus est…