Le port plongé dans l’inaltérable couverture noire, paisible et fraîche qu’était la nuit… rien de plus beau pour Kazuo. La surface de l’eau calme miroitait la douce lumière de la lune ainsi que le satellite naturel de la terre lui-même, se reflétait sur la coque des bateaux avec le soutien des lumières des lampadaires qui caressaient leur zone d’activité. Le ciel, lui toujours aussi magnifique, était décoré de ses habituelles petites étoiles qui brillaient fièrement autour de la lune, au-dessus de la tête du jeune homme, lui ôtant immanquablement le sentiment de solitude. Il se plongea longuement dans la contemplation de la surface de l’eau qui, elle aussi, semblait vouloir lui signaler qu’il n’était pas seul… qu’il ne l’avait jamais été.

Il arracha son regard de cet élément magnifique du port sur lequel il se promenait pour continuer à marcher calmement, bercé comme toujours par le calme et la douce fraîcheur de la nuit qu’il affectionnait tant et humant ainsi qu’à son habitude l’air agréablement frais qui s’offrait à lui. Les mains enfoncées dans ses poches, la démarche légère et silencieuse qui, avec le soutien de la nuit, donnerait à n’importe quel passant l’impression qu’il flottait, il continua d’arpenter le port, résistant à la tentation de caresser la surface de l’eau qui, il s’en doutait, était glacée. Ses pas se mirent alors à le guider vers un lampadaire sur lequel il s’adossa. Il appliqua également sa main sur la surface métallique du pylône qui soutenait ces lumières qui luttaient contre l’obscurité de ce sombre moment de la journée : il était glacé. A l’instar de l’eau.

Il resta dans cette position pendant un laps de temps, puis donna un coup de reins pour se séparer du lampadaire dans l’intention de s’approcher de l’eau. Il s’assit sur le ponton et regarda fixement la surface de cette eau calme et miroitante avec son regard si profond, puis se pencha, le bras tendu dans sa direction, l’index et le majeur étant ses seuls doigts levés, joints, prêts à entrer en contact avec ce support sur lequel flottaient fièrement les bateaux alignés devant lui. L’épiderme de son majeur toucha alors la surface de l’eau. Kazuo avait vu juste : elle était glacée. Il rétracta son bras et remit sa main dans sa poche en fixant cette fois l’horizon qui s’étendait devant lui à perte de vue jusqu’à s’égarer dans l’obscurité.

Il ferma les yeux, huma une dernière fois l’air frais de la nuit en s’en délectant, puis se releva. Il rouvrit les yeux et contempla encore une fois l’horizon nocturne et l’eau dans laquelle se reflétait le ciel noir picoté de ses étoiles et orné de sa lune, puis balaya l’alignement des bateaux de son regard bleuté. Il ferma de nouveau les yeux pour les rouvrir et poursuivit son chemin de sa démarche quiète et légère, ses mains n’ayant pas quitté le confortable abri que formaient les poches de son pantalon. Il poursuivit ainsi tranquillement son chemin sans que rien ne puisse l’arrêter.

Un gros manteau de cuir noir sur ses épaules, entre ouvert maintenant. Elle enlevait lentement son casque de la même couleur ténébreuse que son blouson. Le tenant dans une main dès à présent, le sourire aux lèvres, elle passe son autre paume libre, dans ses cheveux, ses doigts secouant ses mèches blondes, qui s’effilent entre ces derniers et se bouclent à leurs extrémités. Ses yeux perçants se déplacent, se mouvent dans l’obscurité qui se forme autour d’elle, qui l’entoure. Une main semble jaillir de la pénombre, saisissant ses doux traits, son visage entre ses doigts qui ne sont pas siens. A cet instant, Alexis semble avoir perdu toute volonté, ses rubis dans le vide environnant. Comme inférieure à celui qui se dresse dans son ombre, elle sent ses lèvres dans son cou mais ne bouge pas. Elle, qu’on connaissait pour ses reflexes, sa capacité de combat, le fait… Qu’aucun vampire ne puisse ne serait-ce qu’imaginer la mordre… Elle avait l’air si vulnérable, malgré ses vêtements qui lui allaient si bien et lui donnait une allure des plus attrayantes, ça lui allait vraiment bien. Un air supérieur, forte, puissante, pire que plaisante, grisante. Et pourtant, elle ne semblait qu’être à ce moment, une poupée, fragile…

Mais bien vite, très rapidement même, avant qu’une tierce personne ne remarque sa faiblesse, elle se heurte à l’ombre, repousse une personne et part, un sourire malicieux sur ces délicates lèvres, se jouant de son corps pour cet homme qui en reste là. Elle le salue, de façon particulière, approchant deux doigts à hauteur de son front puis les élançant dans l’air, qui rappelait une distinction militaire. Elle a reprit son aura, son comportement, comme si, rien ne c’était passé. La jeune femme s’enfonce dans la nuit, seule. Alexis, ne craint rien et personne, ne se sent quasiment jamais en danger et qu’en bien même ça arrivait, elle savait y faire face. Elle avait envie de bouger, cette enveloppe charnelle emplie d’électricité, qui cherchait à se vider. La demoiselle continua donc de marcher, longuement, longtemps. Qu’allait-elle faire ? Bonne question. Un sourire se dessina à nouveau sur sa bouche quant elle vit le port se divulguer. C’était un endroit, qu’elle appréciait énormément. Les lieux, sans vie, la nuit qui gouvernait ce fragment de ville, oublié quand le soleil venait à se coucher, les autres pour la plupart, n’y voyaient rien quand l’astre lunaire montrait sa souveraineté pour un temps donné.

La jeune femme s’avance donc, jusqu’aux rives, observant les bateaux, la mer, pleine de quiétude. Elle aimait ce cadre, pire encore, elle l’affectionnait tellement qu’elle y passait des journées. Ses lèvres salées par l’eau iodée, ses cheveux qui ondulaient sous ses vagues, son corps qui se courbait sous la puissance du courant de cette dernière. Cette fraicheur, le froid qui l’enlaçait quand elle sortait, le vent soufflant dans sa masse capillaire. Alexis était tellement à l’aise qu’on aurait pu y voir une sirène bien que les ondins n’existaient plus. Enfin… Ce qu’elle avait aussi en tête, c’est ces moments où elle avait l’impression d’être ravagée, engloutit par cela. Mieux que cette sensation, cette impression qu’un train vous traverse à grande vitesse, votre cœur battant jusqu’à rupture. Des fractures de ce muscle qui alimentait sa fontaine de sang, Alexis en avait connu. Un même sourire encré sur ses lèvres, elle se traine, elle se pavane dans ces rues portuaires. Elle relève un peu ses iris grenat vers les cieux. Le firmament et ses étoiles qui venaient se confronter à l’éclat de ses prunelles de braise.

Elle se stoppa quand elle sentit une autre présence. A cette heure-ci pourtant. Elle dévoila légèrement ses crocs, on ne sait jamais, puis alla vers cette aura vampirique qui grandissait au fur et à mesure de ses pas. Elle lui fit face. Alexis découvrit alors les traits d’un jeune homme. Se promenant tranquillement, les mains dans les poches, sans l’once d’une agressivité à son égard. La représente Guilty se doutait qu’il s’agissait d’un étudiant de l’Académie mais ce n’était pas un membre de sa maison. Sans même pouvoir dire qui il était, elle avait surement vu son dossier mais surement dans un passé plus loin, que vraiment proche. Il ne la remarqua pas de suite, et elle ne fut pas comme l’interpeller sans l’effrayer. Elle reprit son chemin en sa direction, tout en cherchant comment se montrer sans être source de menace ou qu’il y voit un quelque conque danger. La lumière d’un des lampadaires qui bordait le quai vient l’éclairer, l’habiller de ses tendres rayons, c’était peut être là, le meilleur de tous les moyens de se faire voir sans attirer la peur…

Le jeune vampire brun de Distraught continua son chemin, ruminant dans ses sombres pensées, ce qu’il avait toujours fait… jusqu’à ce que quelque chose qu’il n’identifia pas tout de suite vienne perturber ce maelström de pensées négatives qui le tourmentait depuis sa jeunesse. Il ne s’arrêta cependant pas dans sa marche et poursuivit sa route comme si rien n’était intervenu dans sa promenade nocturne. Il ne sentit toutefois aucune mauvaise intention dans cette mystérieuse présence et choisit de ne pas identifier tout de suite sa race. Sa démarche se fit cependant légèrement plus lente et mit ses sens en éveil, attentif au moindre bruit, à la moindre forme mouvante qui lui signalerait que cette personne est juste à sa proximité.

Sa vue fut la première à relever un signe. Et la forme mouvante qu’il attendait lui apparut… pour laisser la lumière d’un des lampadaires lui faire généreusement part de sa clarté. Elle offrit par la même occasion à Kazuo l’opportunité d’examiner cette jolie personne qui lui faisait face. Une assez jolie jeune fille élégamment habillée d’un manteau de cuir noir, une magnifique chevelure blonde et un regard de braise aussi d’une intensité qui donnait l’irrépressible impression d’être sondé au plus profond de son être brillait dans la lumière que lui offrait le lampadaire qui se dressait fièrement derrière elle, encadrés de ses semblables alignés sur le port avec l’air défier l’alignement des bateaux ballottés par l’eau qui les portait.

Son regard de braise. Intense, profond. Le jeune vampire plongea son regard bleuté dans celui de cette personne. Etant donné que tous ceux qu’il avait regardé dans les yeux n’étaient jamais parvenus à soutenir son regard, il avait longtemps cru l’intensité de celui-ci inégalable… jusqu’à ce qu’il fasse cette rencontre aussi fascinante qu’inopinée. Et il n’en était pas mécontent, bien au contraire. Mais son visage resta sombre. Il resta là pendant encore une poignée de secondes qui se comptaient sur une seule main, à regarder cette jeune fille dans les yeux, puis se décida enfin à mettre un pied devant l’autre et s’engagea dans sa direction.

Sa démarche lui permit d’approcher cette jeune personne en un laps de temps et la distance réduite du mi-chemin lui octroya l’occasion de l’étudier de plus près. Le regard de celle-ci lui parut tout de suite beaucoup plus saisissant que tout à l’heure, tandis que ses cheveux lui apparaissaient plus brillants, plus éclatants. Son beau visage aux traits délicats lui apparaissait également plus joli que lorsqu’il la regardait de loin. Son manteau, lui, cachait un corps que Kazuo savait attrayant. Il gagna le reste de la distance qui le séparait de la jeune fille et, ne détournant pas son regard du sien, lui adressa la parole de sa voix mélancolique :

-Quel est votre nom, je vous prie ? lui demanda-t-il alors. Le mien est Kazuo Kiriyama…

Aucune hésitation. Son initiative était venue sans avertissement et sans retour. En tout cas, il ne sut pourquoi, mais connaître le nom de cette personne par qui il avait pour la première fois depuis longtemps l’impression d’être sondé lui avait paru l’une des premières choses qu’il fallait faire cette nuit. Il devina d’ailleurs, d’après le visage de cette belle inconnue, qu’elle ne détenait pas d’origine japonaise, à son contraire.

Elle s’avança longuement dans l’obscurité qui semblait comme alliée, son corps se courbant sous ses pas, le noir forme autour d’elle une épaisse cape, une traine qu’elle porte depuis tellement longtemps qu’on aurait pu croire à une dissociation de son aura qui se mouvait dans un même temps qui engloutissait tout ce qui pouvait se trouver sur le chemin. En vérité loin de l’aspect meurtrier et destructeur que cela pouvait représenter, la jeune femme semblait plus en jouer pour se cacher, dissimuler ses blessures, ainsi que celer les plus grands de ses secrets particulièrement. S’arrêtant de nouveau, toujours à hauteur de la lumière qui doucement venant contre les traits de son visage, elle sentait qu’on la regardait plus encore qu’on cherchait son regard, et c’est lors de ce moment qu’elle prit vraiment conscience de l’impact de cette rencontre. Parmi la nuit, elle parvenait à dissocier les linéaments corporels d’un homme, se permettait de conclure par ce qu’il émanait de lui et du peu qu’elle arrivait à voir, qu’il était jeune, plus jeune qu’elle. Sans pouvoir donner plus détails, elle s’en contenta pour le moment.

Et pour cause, que ses yeux lui suffisaient à la maintenir captiver. Un regard d’une grande beauté, ses contours si fins, cette couleur bleutée qui venait en totale opposition avec le rouge flamboyant, cristallin du sien. Ses rubis en contraste avec ce qui aurait pu être des diamants teintés d’azur, si rares, où même la douceur de ces pierres précieuses qu’étaient les aigues-marine. Elle avait l’impression d’être scruter longuement par cette intensité qui gouvernait ses iris, mais le plus étonnant était qu’elle avait l’impression qui cherchait à soutenir son regard, le plus longtemps qui lui fut possible. Comme si jamais personne n’avait su le regarder de cette façon. Véritable reflet de son âme, les prunelles d’Alexis étaient l’un ses plus magnifiques atouts, des joailleries qui transcendaient, qui semblaient pouvoir voir au delà du charnel, au plus profond de l’être qui la défiait ou qui croisait simplement sa route. Une allure primaire, un coté animal, bestial sauvage, indomptable de ses origines, ses aïeuls... Les secondes qui tournaient comme des minutes, depuis combien de temps, se fixaient-ils, sans se rapprocher l’un de l’autre, dans ce silence des plus exquis. Qu’allaient-ils faire maintenant. Alexis ne voulait pas passer son chemin, sans l’interpeller et apprendre un peu plus sur la personne qui avait de tels bijoux visuels.

La couleur des yeux, le regard des autres proprement dit l’avait toujours fasciné et par sa capacité à s’en émerveiller, chacun qu’elle croisait lui apportait un peu plus et qu’importe les tons et les sentiments qu’elle y découvrait, elle trouvait ça toujours extrêmement beau, surement aidé par le fait qu’elle parvenait à sentir, se délecter d’une fragrance de l’aura de ceux-ci. Du plus terne au plus saturé, Alexis savait que ses tons grenat qui l’animaient, avaient un poids, non négligeable. Quant elle le vit bouger, elle en fit de même, allant vers sa personne comme il le faisait. Une réciprocité assez déconcertante dans leurs agissements. Maintenant face à face et toujours sans décrocher un mot, il lui offrit tout le loisir de l’observer. Se découvrant de l’ombre, ils étaient tous les deux, sous l’un des lampadaires du port. Suspension qui les éclairait et les exposait au reste du monde. Son regard quittait un court instant le sien, pour le contempler de la tête aux pieds, ce qu’elle n’avait pas pu faire plus tôt.

Alexis était, est plus grande que lui, normal, vu son âge et sa taille au dessus de la moyenne pour les jeunes femmes. Une chevelure sombre, lui tombant au niveau de sa nuque, balayant aussi son front. Ses fils capillaires si lisses, comparé au volume de ses cheveux qui bouclaient par endroit, encadrant son visage. Le reste des ses traits dessinés dans l’harmonie, il était beau. Vraiment beau, il semblait également avoir des origines outre les terres d’Amérique, plus asiatiques vraisemblablement. Sans qu’elle puisse bien sur définir avec exactitude de quel pays il venait, peut être le Japon. Elle immobilisa une nouvelle fois ses yeux près des siens, et c’est quant elle revenait à lui, qu’il lui adressa ses quelques mots. Lui demandant son nom, son identité alors qu’après une très courte pause, il se présenta à elle sans une once d’hésitation. Plus frappant encore, en entendant cette voix si mélancolique, elle vit cette impression que le ciel attristé et si clair qu’il avait également comme coloris de ses prunelles, lui tombait dessus. Une sensation des plus étranges. La demoiselle ajouta donc d’une voix d’une infinie douceur :

" Alexis Grace Williams. "

Simplement, elle s’inclina un peu, le saluant respectueusement. Avant de se replacer correctement de toute sa grandeur et de sa grâce, comme majestueuse. Sa curiosité tout de même piquée au vif, en écoutant ce timbre de voix, il paraissait, affligé, la tristesse l’embrassant depuis surement la nuit des temps, voulant en apprendre plus c’est vrai, elle ne se montrerait pas indélicate, impatiente. Elle lui tendit sa main, un geste long, surement puissant par la spontanéité dont elle faisait preuve, l’émotion, l’étincelle qu’elle créait dans ce mouvement emplie de vertu, si tendre. Hypnotisant, elle poursuivit d’un ton rassurant et qui amenait à la confiance :

" Venez… "

Loin de l'autorité mais plus une proposition, attrayante, plus encore, pleine de mystères, l'énigmatique personne qu'elle était, l'attendait...

Elle se mit à l’étudier à son tour, examinant ses cheveux, passant sur son visage. Elle resta par contre un certain moment sur ses yeux, dans lesquels il avait l’impression qu’elle avait descellé quelque chose, ce dont Kazuo avait l’habitude Après lui avait offert son nom, il sentit qu’Alexis avait apparemment été touchée par quelque chose, mais il ne sut pas immédiatement par quoi. Mais il n’eut pas le temps de se poser plus de questions puisqu’elle s’inclina devant lui pour le saluer d’une manière aussi courtoise et respectueuse qu’élégante et lui révéla à son tour son nom. Alexis.Grace Williams. Un bien joli nom pour une aussi charmante demoiselle que celle-ci. Kazuo ne laissa transparaître aucune émotion sur son visage asiatique et se contenta de fermer les yeux, incliner légèrement la tête et la redresser, signe qu’il avait reçu ce renseignement. Il sépara ensuite une nouvelle fois ses paupières pour replonger son regard céleste dans le brasier des pupilles d’Alexis.

A ce moment-là, il fut happé par un puissant tourbillon de tourments dans lequel ses émotions se reflétaient si clairement à lui qu’il avait l’impression de regarder fixement le plus réfléchissant des miroirs. Seulement, au-delà de ce puissant tourbillon dans lequel Kazuo s’était laissé entraîner sans pouvoir résister, au plus profond de son être auquel ce courant circulaire lui interdisait strictement le passage, Kazuo sembla deviner une aura mystérieuse. Une aura mystérieuse, mais également forte, puissante… animale. Ne pouvant outrepasser la puissance de ce maelström de sentiments qui le mettait au défi de le franchir, Kazuo ne put que se servir de son sens de la déduction que cette sensation cachée au fin fond du regard de braise de la jeune fille s’était construite sur une vie aussi triste et dure que la sienne, étouffées par des tourments et des souffrances aussi puissantes que celles que Kazuo avait pu connaître dans sa jeunesse.

Il revint à lui aussi brusquement que si le tourbillon l’avait expédié hors de sa vue. Stoïque à l’extérieur, il était ébranlé à l’intérieur. Si le regard d’Alexis était un brasier dans lequel se reflétaient les émotions qu’elle ressentait par rapport à son passé, en la sondant d’un peu plus près, on pouvait s’apercevoir de la puissance de ce qu’elle ressentait de par cette force titanesque à laquelle Kazuo avait été confronté un instant plus tôt. Il se dit aussi que la sensation qu’il avait trouvée cachée par la puissance de ce tourbillon de tourments avait l’air plus déconcertant encore que son protecteur en lui-même. Cet air animal tapi comme un loup au fin fond de son être resta gravé dans l’esprit de Kazuo avec une force qui l’ébranlait encore.

Le geste que fit Alexis par la suite l’arracha des mains de la torpeur qui l’avait emprisonné dans ses bras puissants après son extraction brusque et presque contrainte du regard de la jeune femme : elle lui tendit la main. Un geste débordant de confiance et de puissance en vu de sa longueur d’exécution. Un geste accompagné par un seul mot. Un mot qui contenait à lui seul un hypnotisme tellement magnétique, une nuance de proposition tellement attrayante et incitant à la confiance absolue que Kazuo ne put s’empêcher d’y consentir.

-Très bien… répondit-il.

Deux mots. Il n’avait rien trouvé d’autre à dire pour lui signaler son approbation. Deux mots qui allaient cependant, peut-être, engager une conversation qui promettait bien d’être intéressante…

Immobile, silencieuse, elle n’ajouta rien à ce simple mot qui avait traversé ses douces lèvres. Elle le fixa longuement et lui mettait peut être une certaine pression. La main tendue vers lui, ses yeux le harponnaient et le seul moyen de s’en défaire avec une volonté dite de fer, était aussi d’accepter sa proposition. Dans le regard de la demoiselle, on y trouvait un semblant de réconfort, de confiance en tous cas qu’on pourrait lui accorder. La loyauté de ses joyaux, ses rubis qui dansaient de leur intensité, elle désirait que les belles prunelles de son interlocuteur ne la quittent jamais, tout du moins, pas de suite, il tienne encore un moment. Il y arrivait, cherchant à y desceller quelque chose, cherchait-il la clé pour entre apercevoir ses secrets qu’elle avait été caché au plus profond de son être et dans son âme, malgré son bon vouloir, quelques fragments remontaient à la surface, et se traduisaient dans son regard pour quiconque serait un peu plus attentif. Il s’y perdait lors de cet instant.

Il approuva, un fin sourire vint s’esquisser sur les lèvres de la jeune femme, qui voila ses iris ensuite, le libérant de son emprise et se délivrant de la sienne. Il accepta aussi simplement qu’elle lui fit cette proposition. Elle ne doutait pas d’une conversation proche qui serait bien plus étoffé en rhétorique. Qu’allait-il bien pouvoir lui apprendre sur sa personne, pourquoi, avait-il l’air si mélancolique, pourquoi la tristesse elle-même s’était entiché de sa voix ? Elle avait rapidement conclu, par déduction, aspirant son aura, essayant de lire en son sein, transcendé ses yeux bleutés pour avoir ces réponses, que la vie ne fut si tendre avec lui, et qu’il avait sûrement un passé dur, complexe. Qu’il avait du en souffrir, énormément, pour en être si affligé. Quel secret, allait-elle pouvoir lui décrocher, que pourrait-elle lui avouer ? Toutes ces interrogations se bousculaient et heurtaient son esprit en une fraction de seconde, étonnement, incroyablement vite…

Alexis ramena sa main vers elle, tout son bras revenait vers ses courbes, ses doigts s’animant dans un geste qui invita le jeune homme à s’approcher, l’invitant à la suivre, vraiment, annonçant qu’ils se mettront bientôt en route. Rouvrant lentement les yeux, légèrement mi-clos, son regard de braise, plus par ces couleurs que son allure de biche se détacha du corps de Kazuo. Dans le mouvement précédent, elle s’était bien sur attendu à n’avoir aucun contact physique avec lui et il l’avait bien compris, le contraire l’aurait un peu surprise, qu’il saisisse ainsi si facilement sa main, qui était plus là pour l’insister que le toucher. C’est toujours en silence, que le sourire ancré à sa bouche s’étira. Elle observa les alentours très rapidement, regardant par-dessus son épaule, sur la droite puis du coté de l’océan. Ils étaient à coup sûr, seuls. Exception faite d’autres formes de vie qu’humaine, angélique, démoniaque, vampirique, comme les plantes ou même les animaux. Enfin, passons, elle se retourna et commença à marcher.

Sa démarche était légèrement, on avait presque l’impression que l’ombre se confondait sur ses traits, comme si les ténèbres venaient à l’enlacer sans aucun danger. Sûre d’elle et d’où elle allait, ses linéaments corporels qui ondulaient, dans une rythmique sans égale, elle serra son gros blouson de cuir entre ses mains, s’enfonçant dans la pénombre. Laissant son parfum, derrière elle, ses cheveux se soulevant longuement sous ses pas, elle tourna un peu la tête s’assurant que le vampire la suivait bien. Ce fut le cas. Connaissant si bien le chemin, on aurait dit qu’il se formait sous son envie. Elle se retourna, pour lui faire face, mais ne s’arrêta pas pour autant, continuant dans son avancée, elle ne craignait rien. Ses doigts parcourant ensuite son menton, glissant sur ses lèvres délicates, sucrées caressées par ses ongles manucurés aux allures de griffes dans des situations menaçantes, dans ce signe de réflexion, elle ajoute :

" Vous êtes étudiant à la Shaded Academy n’est ce pas ? "

Mais ils ne se connaissaient pas. Pourtant elle pouvait l’affirmer, lui-même ne devait pas avoir conscience de qui, il avait réellement en face de lui. Mais qu’importe. Elle releva un peu la tête vers les cieux, scrutant faiblement l’ampleur de la voix lactée. Alexis avait une connaissance assez impressionnante du ciel et des mers. On disait même que lâchée en pleine mer, elle pourrait se réparer, grâce à la couleur, au gout de l’eau, au vent, à la flore, à la faune. A l’orientation du soleil, et de ses nuages, aux constellations. Elle n’avait pas encore essayé mais elle avouait avec allégresse que cela l’amusait et l’amuserait beaucoup. Qui sait de quoi, la jeune femme était capable, avec elle, on pouvait s’attendre vraiment à tout…

Son approbation eut l’effet désiré : son interlocutrice retira sa main lentement, agitant ses doigts pour l’inviter à la suivre. Le jeune homme brun se perdit alors une dernière fois dans son regard dont le magnétisme cachait habilement les émotions puissantes qui y siégeaient avant de la suivre, voyant qu’elle avait amorcé la marche. Ses pas calqués inconsciemment sur ceux d’Alexis, sa démarche presque flottante suivant celle, aisée, de la jeune fille, sa promenade put signer une trêve avec la pause dans laquelle elle s’était adroitement glissée pour reprendre son cours. Calmement et paisiblement. Et cette fois, le vampire japonais n’était pas seul. Il était même en plutôt bonne compagnie… Celle d’Alexis.Grace Williams, la jeune fille au regard de braise.

Ange ? Démone ? Vampire ? Humaine ? Il ne sut à quelle race assimiler cette jeune et charmante personne… Mais toute cette histoire de race n’avait guère d’importance pour Kazuo. Elle n’en avait d’ailleurs jamais eu pour lui. Tous les êtres vivants étaient égaux. Les Anges, les Démons, les Vampires, les Humains… ils avaient deux bras, ils avaient deux jambes, une tête, des mains, des pieds… leur physionomie était peut-être différente, autant Kazuo n’avait jamais réellement compris pourquoi les races entretenaient des relations aussi tendues entre elles… et il les avait toujours déplorées. Mais outre cette histoire de race, Kazuo se mit dans la tête de s’informer sur celle d’Alexis, simplement pour détenir au moins une information de base sur cette personne.

Ce fut avant de s’apercevoir qu’il avait une fois de plus, dans sa marche, sombré dans ses lugubres pensées qu’Alexis se retourna tout en poursuivant sa route et braqua son attention sur lui, captivant celle de son interlocuteur et l’arrachant ainsi à ses réflexions. Ses lèvres s’ouvrirent alors une fois de plus afin de former une seule phrase de sa voix mélodieuse et incitant à la confiance. Une phrase qui, Kazuo en avait conscience, reposait également sur les bases de la société mais qui, s’il maniait assez habilement sa réponse, lui permettrait sans doute de découvrir la race à laquelle son interlocutrice appartenait. En soutenant son regard comme si ceux-là s’étaient enfin trouvé un égal à qui confier leurs tourments, avec qui ils pouvait communiquer de tout comme de rien, le jeune garçon aux préférences nocturnes formula alors sa réponse :

-En effet… Etudiant à la Shaded Academy et membre de la confrérie Distraught. Je suis également un représentant de la race des Vampires… ce qui pourrait sans doute justifier ma complicité particulière à la nuit noire ou éclairée.

Il nota, suite à sa réponse, qu’Alexis leva légèrement la tête en direction du ciel noir décoré de ses astres. En raison de son regard scrutateur, Kazuo en déduisit qu’elle regardait quelque chose de plus profond que ces astres. Il suivit alors son regard. En tant que vampire qui aimait particulièrement fréquenter la nuit, il avait l’œil habitué à toutes ces merveilles qui le saluaient de leur vertigineuse hauteur, et il comprit à peu près ce sur quoi se focalisait l’attention d’Alexis. Il put aviser lui aussi la faible silhouette de la Voie Lactée qui semblait lever le bras pour le saluer, à l’instar des autres astres. Il ferma les yeux et les rouvrit lorsqu’il se retrouva face à face avec Alexis après s’être retourné.

-Pouvez-vous, vous aussi, m’offrir quelques renseignements vous concernant ? lui demanda-t-il avec un ton qui transpirait la courtoisie et la politesse, sans pouvoir se débarrasser de sa mélancolie.

Alexis continua de se faufiler dans le silence, tournant de nouveau le dos à Kazuo après sa première réponse. Son visage dissimulé des beaux yeux du jeune homme prenant une expression singulière et pensive. Ainsi donc elle ne s’était pas trompée. Il était bien de la Shaded Academy, qui plus est, dans la confrérie dont Beverley était leadeur. La demoiselle fut également surprise qu’il lui dévoile aussi rapidement, facilement sa condition, sa nature de vampire. A cet instant, elle se demandait si tous les étudiants se relevaient leurs dites races en un claquement de doigts. Alexis y voyait cependant là plus une once de confiance qui lui accordait qu’entre chose, malheureusement pour lui, elle ne pourrait pas lui dire ce qu’elle était, pas de suite en tout cas, peut être pas en ce soir, ses lèvres closes, limite clôturées, cousues de son plus grand secret par le fil de sa vie. Si on venait à lui enlever, une main viendrait toujours en seconde barrière protéger cette confidence, même par la force et contre son gré. Sans rien ajouter donc, elle écouta attentivement ses propos ultérieurs.

Elle ferma les yeux et s’arrêta, une fois qu’il fut à sa hauteur, elle replongea son regard dans le sien. Un sourire sincère sur ses lèvres. Puis elle hocha doucement la tête comme signe d’approbation. Alexis en profita également pour faire un point dans l’avancée de leurs pas. Ils n’étaient plus très loin. Ne reprenant pas de suite leur marche, décidée à lui laisser quelques indices sur sa personne. Marquant, cette légère pause, elle releva ses prunelles cernées de noir (Dans le sens d’un maquillage fin mais marqué sans être vulgaire ou grotesque, ni même un signe externe de fatigue, je préfère préciser.) vers le ciel, ses rubis qui cherchaient comme au loin, la réponse, la plus juste, les rhétoriques les plus belles qu’elle pourrait lui offrir. S’inspirant de la sagesse des cieux, de la nuit qui les enveloppaient et visiblement avec qui tous les deux étaient tellement bien, des étoiles et de leurs grandeurs. Sa bouche se mouva délicatement, pour lever un peu le voile qui les séparait :

" Je suis également à la Shaded Academy, étudiante dans plusieurs cursus. "

Son sourire s’élargissait, elle qui bientôt aurait fini une autre partie du programme LMD. Elle lui avoua surtout ce fait non négligeable, pour ne pas dire d’une extrême importance :

" …Et leadeur Guilty. "

Comment son interlocuteur allait-il réagir ? Excellente question, pour le moment, elle poursuivit sur son chemin. Après quelques secondes, ils y étaient enfin. La mer au loin, la baie du port reculée, Kazuo et Alexis s’avançaient près d’une petite crique, cette échancrure de la côté cachée par ses rochers. Un peu de sable, une eau des plus claires, par les rayons de l’astre qui était souverain, substitut au soleil dans la journée. La jeune femme appréciait vraiment cet endroit, où la quiétude était reine. Tout se reflétait magnifiquement dans une splendeur particulière, un éclat de la Nature. Elle se stoppa à nouveau, laissant le temps au jeune homme d’admirer les lieux, d’en profiter visuellement parlant. Tout comme malgré le fait qu’elle y vienne souvent, elle savourait ce spectacle, une contemplation sous un autre angle, ayant une capacité de s’en émerveiller différemment à chaque fois. Elle s’aventura ensuite sur ses roches, jusqu'à en éteindre la plus haute.

Se dressant fièrement, elle se tourna vers Kazuo. La lune dans le dos, ronde, pleine, rayonnante. Sa chevelure brillante se confondait dans la pâleur de l’astre lunaire, sa frange seule distinction sur son visage, encadré de cette blondeur qui s’effaçait. Faisait ressortir ses yeux d’un rouge encore plus vivace, qui renforcé de cette intensité. On comprenait pourquoi elle était considérée comme une personne énigmatique, la plus mystérieuse du complexe scolaire sous cette facette. Alors qu’était-elle ? Ange ? Pas sur… Démoniaque ? Incertain… Vampirique ? Au Conditionnel…. En tous cas, pas une simple humaine, alors quoi ? Autre chose comme…

Sa question fit l’effet d’un frein sur les pas d’Alexis et leur marche s’arrêta net. Lorsqu’elle ferma les yeux avant de s’arrêter, Kazuo ne la pressa pas. Quand elle s’arrêta pour le regarder dans les yeux et le gratifier d’un sourire emmitouflé de la plus profonde des sincérités, sa patience dépourvue de limite lui permit de ne pas ajouter à sa question un mot pressant qui aurait coupé la réflexion d’Alexis aussi aisément qu’une paire de ciseaux sectionnait un ruban. Vinrent ensuite un léger hochement de tête et une pause de laquelle elle profita pour lever les cieux vers le ciel, comme pour rechercher quelque chose qu’elle seule pouvait trouver. Le jeune vampire de Shaded n’interrompit aucun de ses gestes, se contentant de laisser son regard fixé sur elle. Finalement, le moment pour elle de parler arriva enfin au rendez-vous et Kazuo la fixa de son regard céleste, écoutant le moindre de ses mots pour les graver dans sa mémoire.

Parmi tous ces renseignements, le nom de la race à laquelle cette jeune et charmante personne appartenait ne répondait pas à l’appel, mais Kazuo ne broncha pas. Il ne sut pour quelle raison exactement, il s’était quelque peu attendu à ce qu’Alexis ne lui dévoile pas tous les secrets desquels elle semblait d’être soigneusement entourée tout au long de sa vie. En tout cas, elle lui avait livré les renseignements essentiels : elle était elle aussi affectée à l’Académie Shaded et détenait un statut d’étudiante dans plusieurs cursus. Kazuo analysa chacun de ces renseignements, les pesant soigneusement avant de les accueillir dans sa mémoire en fermant la porte derrière eux… jusqu’à ce qu’arrive le dernier petit détail auquel Kazuo ne s’était jamais attendu… ne se serait jamais attendu. En effet, en plus d’appartenir à cette Académie plus que tolérante, Alexis.Grace se trouvait être le leader de la maison que tout le monde ici appelait ‘’Guilty’’.

Suite à ces révélations, elle sembla se demander de quelle façon le jeune homme brun au regard céleste allait réagir. Se demander à quoi ressemblerait sa réaction ? Kazuo voulut bien lui pardonner cette légère erreur… tous ceux qui l’avaient assez fréquenté pour le connaître de façon suffisante savaient plus que n’importe qui que le jeune homme japonais ne laissait aucune émotion franchir la barrière qui séparait l’intérieur de l’extérieur de son être. Aussi ne broncha-t-il pas, les traits de son visage ne se déformèrent pas, lorsque cette information parvint à son esprit. Il se contenta de la suivre, calquant son allure sur la sienne, alors qu’elle venait de reprendre la marche. Les deux promeneurs nocturnes ne prononcèrent plus un mot et se contentèrent de marcher. Seulement marcher. Placer un pied devant l’autre dans une action machinale, rythmée et ininterrompue… jusqu’à ce qu’ils aboutissent à une crique, laissant le ponton du port en retrait, donnant alors à celui-ci l’occasion de se faire oublier pour céder sa place à cet endroit embelli par la lueur de la lune dans l’esprit des deux jeunes gens.

La lune gouvernait la nuit au milieu de ses sujets auxquels les humains se complaisaient à attribuer le nom d’étoile. Elle diffusait sa lueur d’une beauté d’un autre monde sur l’eau, le sable, les rochers, leur offrant ainsi une apparence féérique que la lueur du soleil ne pourrait jamais surpasser avec sa lumière pourtant aussi vitale pour la planète que celle de la lune. Dame Nature possédait deux facettes, l’une étant diurne, l’autre nocturne, et si Kazuo devait choisir une de ces facette pour lui attribuer le titre de la plus magnifique facette, il n’avait pas à réfléchir.

-C’est magnifique… murmura-t-il tout simplement, sur un ton stupéfait, seul moyen de manifester cette émotion.

Pendant qu’il se délectait de du spectacle frôlant l’irréel qui s’offrait à lui, sa nouvelle connaissance avait laissé ses pieds la guider sur les rochers. Lorsqu’il s’arracha à la contemplation de ce spectacle merveilleux, il reporta son attention sur elle. Même s’il ne laissait rien paraître sur son visage de type asiatique, plus que l’environnement jouissant de la lumière lunaire, la vision qui s’offrit à lui le frappa de plein fouet.

La jeune fille au regard de braise, perché du haut de son rocher, éclairée dans le dos par la lune et lui faisant face, ses contours brillants à la lueur astrale du maître céleste de la nuit, ses cheveux initialement blonds adoptant une couleur argentée en acceptant la lumière lunaire… lui donnant ainsi l’allure d’un être venu d’un autre monde, ou alors sortant tout droit d’une histoire de fantasy. Kazuo se mit alors à hésiter à déterminer si Alexis, dans cette posture, était une personne réelle ou bien s’il s’agissait d’un rêve, une illusion…

Le jeune homme eut des difficultés à revenir dans la réalité, mais quand il y revint, il regarda autour de lui, s’assurant que rien n’avait changé, que rien de cet environnement n’avait été la caractéristique d’un rêve quelconque… lorsque ses yeux lui confirmèrent que tout était tel quel, Kazuo resta stoïque mais soupira à l’intérieur. Il rejoignit plutôt Alexis sur les rochers, ses mains n’ayant toujours pas quitté les poches de son pantalon.

Cette masse volumineuse de cheveux, qui semblait avoir prit de l’ampleur par leur couleur qui changeante sous les teintes lunaires, s’agitaient, se soulevaient sous l’effet du vent qui venait la décoiffée lors d’un court instant. Elle se tourna légèrement, la brise venant alors caresser ses mèches à la limite du blanc, bouclées dans une sphère harmonieuse capillaire. Révélant à nouveau ce coté sauvage, la bête dans ses yeux couleur sang. La jeune femme n’avait pourtant rien d’agressif en ce moment, très calme même, la quiétude de son aura en contraste avec la puissance, l’intensité de son regard, qui semblait se déchainer dans son observation de la mer qui se formait dans quelques vagues, assez douces durant ce temps. Tout semblait pourtant instable. Comme si la présence d’Alexis était un déclencheur, l’endroit ne perdait en rien dans sa beauté et était toujours aussi serein, les lieux paraissaient s’adapter à ces deux présences qu’ils étaient à présent dans cet environnement.

C’était plus fort qu’elle et elle avait l’impression que quelque chose l’appelait, la réclamait, ici et au loin. Profitant des secondes où Kazuo portait son attention sur les alentours, elle posa une main sur sa poitrine, à hauteur de son cœur. Le poing fermé, les doigts serrés, ses prunelles vers l’horizon. L’appel du large, d’une vérité qui lui brulait les lèvres, quand serait-elle vraiment elle-même ? Son passé dansait dans sa mémoire, ses mots qu’on lui avait lancé, ses aveux. Son souffle court, cherchant dans le ciel de quoi se rassurer, un geste de ses aïeuls. N’importe quoi vraiment. Que devait-elle faire. Comment faire comprendre à autrui ce qu’elle portait, ce qu’elle avait sur les épaules. Ce qu’elle était, ces dangers qui la poursuivaient. Liam, était le seul à savoir et à l’écouter, d’autres étaient au courant, mais ils ne lui voulaient nullement du bien au contraire et le vampire légendaire la protégeait malgré tout ce qu’il disait, ce qu’il niait… Il l’aimait… Reprenant une attitude normale, un comportement habituel, maintenant tout cela de coté, dans une contemplation de la Lune, elle sourit à Kazuo qui s’approchait lentement d’elle.

Une fois qu’il était revenu près de sa personne, un sourire toujours sur sa bouche, elle releva la tête pour scruter une nouvelle fois l’océan, ses iris dérapant sur les traits du jeune homme. En silence pour le moment, elle se posait pas mal de question, c’est vrai à son sujet. Haussant doucement les épaules dans un autre mouvement et elle venait à s’asseoir sur le rocher, cela ne se remarquerait point. Replaçant l’un de ses fils de soie qui composait ce qui aurait pu être une crinière, derrière son oreille. Balançant ses gambettes dans le vide, qu’elle lançait alors en cadence sans se soucier du reste. Alexis invita le vampire à se poser de même façon. De manière à être surement plus à l’aise, et installé. Pour se sentir un peu moins seule. Le visage incliné vers lui, elle finit par ajouter assez délicatement :

" J’aimerai vous proposer quelque chose... "

Le regard tendre, le ton confiant et rassurant, timbre de miel. Elle le quitta de ses yeux, ces derniers allant plus loin, avant qu’elle ne vienne à les dissimulés de ce fin voile de peau. Elle songea, non pas qu’elle allait faire chemin inverse, dans un souffle, le vent emportait avec lui, ses mots ayant glissés de sa chair jusqu’à la voie lactée maintenant dans les linéaments des étoiles mais aussi de l’esprit de Kazuo :

" Si vous me contez votre tristesse, je promets de répondre à vos questions, qu’importes soient-elles, je pourrai même vous narrer quelques fragments de mon histoire en échange... "

Marquant une légère pause, c’est sincèrement qu’elle poursuivit :

" Qu’en dites-vous ? "

L’étudiant avait le droit de décliner son invitation, bien qu’il ait déjà accepté bien de choses venant de la jeune femme comme le fait de la suivre par exemple. Il pouvait dire oui, et elle espérait qu’il réagisse positivement à cela... Tous les deux avaient à y gagner, vraiment, dans leur quête commune de connaissances…

[ Je relis demain soir ou dans l'aprem' si tu lis avant correction faite, je m'en excuse ^^]

Concentré sur sa marche et ne faisant temporairement plus attention à la silhouette d’Alexis embellie par la lumière de la lune, Kazuo mit un pied sur le premier rocher. Sortant pour la première fois ses mains de ses poches depuis qu’il avait touché la surface de l’eau avec ses doigts au bord du ponton avant l’arrivée inopinée du leader de Guilty qui, par la grâce de ses mouvements et l’aura de charisme et de confiance qui se dégageait aussi discrètement que fortement de son regard, était parvenue à obtenir sa confiance, dès que leurs regards s’étaient croisés, il s’aida quelquefois de celles-ci pour faciliter son ascension. Il grimpa de rochers en rochers aussi aisément que s’il avait fait ça toute sa vie, comme si ceux-ci étaient disposés selon sa volonté. Comme si un rocher allait apparaître ici ou se déplacer là selon l’endroit où il mettrait sa semelle. En un court laps de temps, il arriva enfin au sommet de cet amas de rock et se posta aux côtés d’Alexis, le regard pointé vers l’horizon, caressant doucement la surface de l’eau paisible qui s’étendait jusqu’à perte de vue dans l’horizon harmonieux de la nuit étoilée.

La respiration paisible, l’air délicieusement frais se glissant dans ses poumons, les purifiant de sa fraîcheur sans pouvoir panser les blessures profondes et sans doute incurables de son âme meurtrie, le jeune homme brun ferma les yeux, ne pensa plus à rien… Jusqu’à ce que ses oreilles le ramènent à la réalité en captant un bruit de mouvement. Il tourna la tête en direction d’Alexis, baissa les yeux lorsqu’il s’aperçut qu’elle s’était assise sur son rocher. Elle l’invita alors d’un de ses gestes gracieux à faire pareil. Se disant que s’asseoir le reposerait un peu après cette promenade sur le port et cette marche jusqu’à cet endroit où ils se trouvaient actuellement, Kazuo accepta une nouvelle fois cette offre sans rien dire. Remettant ses mains dans ses poches, il fixa une nouvelle fois l’horizon de son regard bleuté, puis reporta son attention sur sa voisine qui avait tourné son regard vers lui.

Elle fit alors une proposition dont les critères étaient simples : il lui relatait les tourments sur lesquels sa vie, sa personnalité s’étaient bâties et elle répondrait à toutes les questions qu’il lui poserait qui la concernaient, et des extraits de son passé de surcroît. Kazuo ne sut comment réagir, ne sut quoi répondre. Il savait bien que raconter la cause de ce regard mélancolique à la couleur céleste, ainsi que ce ton noyé d’une tristesse presque palpable lui permettrait d’alléger quelque peu sa conscience, mais il doutait de pouvoir cicatriser les blessures de son âme de cette façon. Il ne savait pas comment guérir, il ne savait pas s’il guérirait un jour. La nuit et la solitude étaient ses meilleures amies et sa capacité à communiquer avait été sabordée par sa jeunesse peu entourée. Pour lui, sa personnalité était faite. Et son regard n’aurait jamais un autre éclat que celui d’aujourd’hui. Après mûre réflexion, cependant, il décida d’accepter. S’il voulait en savoir un peu plus sur Alexis et alléger le poids qui pesait sur sa conscience, il devait parler. Laisser les mots couler en lui, les laisser sortir, l’apaiser… s’exprimer.

-Votre proposition m’intéresse… répondit-il simplement.

Sauf qu’il ne savait pas par où commencer… Comment raconter dans l’ordre son faible entourage, les circonstances de la découverte de sa race, les trahisons… Il ferma les yeux, cherchant à revivre les durs moments de son enfance, arriver jusqu’au commencement, convertir les images en mots, les laisser sortir…

-Ma vie s’est construite sur les bases de la solitude… commença-t-il finalement. Au départ mon entourage était faiblement constitué. Je n’étais pas comme les autres et ils le sentaient aussi bien que je le sentais, mais les plus tolérants d’entre eux consentaient tout de même à continuer de me fréquenter. Puis le temps m’a fait grandir, jusqu’à ce que je passe la barre des 10 ans et que je découvre mon appartenance à la race des vampires. Les deux tiers de mon faible entourage se sont dissolus. Même mes plus rares amis me parlaient rarement. Puis ce qui devait arriver arriva. A l’époque j’étais plein de vie, je souriais et montrais mes émotions davantage qu’aujourd’hui. L’un de mes anciens amis m’a accosté et ma servi des propos acides et sarcastiques. Préférant ignorer la provocation et éviter des ennuis, j’ai cherché à fuir, mais il ne me lâchait pas et d’autres anciens amis l’ont rejoint. J’ai perdu patience et j’ai failli le mordre. Lorsque j’ai repris mes esprits, je me suis aperçu de ce que j’avais manqué de faire et par la même occasion que mordre les gens n’était pas mon passe-temps favori. Mes derniers amis m’ont tourné le dos et finalement j’ai grandi seul… jusqu’à aujourd’hui.

Tous ces mots sortis de sa bouche formaient une seule et même vérité. Cependant il doutait quelque peu qu’Alexis y croie. Jusqu’à présent, les discriminations passaient encore, mais cette histoire d’acharnement et de morsure qui a failli avoir lieu avait des risques de manquer de crédibilité. En tout cas, il s’était confié. Il n’attendit plus que la réaction de son interlocutrice. N’importe qui aurait versé au moins une larme en racontant ainsi ces événements. Kazuo n’avait pas bronché. Ses yeux étaient secs et son visage affichait toujours la même émotion. Il regarda Alexis dans les yeux.

Alexis le regarda, le temps qu’il se pose à coté de ses courbes. Tous les deux maintenant assis sur le rocher le plus gros, le plus haut qui bordait la mer. D’ici, il lui semblait pouvoir toucher la Lune pleine si elle tendait le bras vers cette dernière, sa main, ses doigts qui auraient pu prétendre à frôler cet astre. Elle n’en fit rien, restant immobile, cette pensée en tête, un fin sourire sur ses lèvres. Observant lors d’un court moment l’océan et son parfait reflet des cieux. Comme si les étoiles avaient des jumelles dans ce miroitement trompeur de son éclat, qui se troublait sous l’effet des vagues qui ondulaient jusqu’à la plage. Un band de sable, clair, d’où elle parvenait à se souvenir de sa chaleur lorsque le soleil était au plus haut dans le ciel bleu dépourvu de blanc, de nuages opaques. Fermant doucement son blouson de cuir qui était encore ouvert, tellement lourd que le vent n’arrivait pas à le soulever. Ses épaules supportaient plus encore. C’était différent, mais de sa carrure, elle était forte, sans être une boule de muscles et de nerfs visibles pour autant. Son corps qui fut saigné, blessé, meurtri…. Habitué maintenant et comme blindé...

On voyait encore se dessiner dans son cou, une longue cicatrice que les semaines estompaient lentement. Tenant son col entre ses paumes, elle reporta son attention sur le jeune homme. Réfléchissant lui aussi, sûrement quoi, comment lui répondre. Quand ce fut le cas, elle fit un signe de la tête, inclinant doucement son visage, ainsi, il était près à parler, à lui relever certains détails, comme elle lui avait promit de faire même. Ses prunelles fixant les iris bleutés de son interlocuteur déjà à la recherche de réponse. Patiente, elle savait qu’il se devait de chercher comme amener ses mots et surtout comment commencer, par quoi… En silence donc, elle ne lâcha pas son regard, comme pour lui apporter un appui pour s’aider à débuter, prendre un envol. Alexis avait conscience de la difficulté que cela demandait. Marquant cette pause, il prit la parole, ajoutant une première phrase comme d’introduction mais aussi de bilan global. Une fatale vérité simplifiée. Une curiosité s’anima, et comme s’il peut le sentir, il poursuivit donc son récit. La jeune femme très attentive à chacun de ses sons qui glissaient sur ses lèvres, le soutenant toujours de ses yeux.

Alexis fut touchée par la sincérité de ses propos et par son histoire en elle-même bien évidement. Un vampire qui se refuse de mordre, qui continue d’avancer malgré ses obstacles qui se dressent, ses amis, sa famille qui se divisent, se dissolvant sous son âme encore candide, enfantine, puis d’adolescent. Lui, qui grandit alors dans la solitude. Seul, vraiment seul… Quittant un moment son regard, elle ferma les yeux, gardant ce conte réel dans sa mémoire qui restituait tous ces éléments. C’est ainsi que les autres l’avaient poussés dans une tristesse sans fond, la mélancolie s’était enroulée de toute son aura, jusqu’à les tréfonds de son âme. Elle comprenait mieux, d’où lui venait ces sentiments, ce timbre de voix. Les mains sur ses cuisses, l’une sur l’autre, se serrant délicatement, dans cette même position, elle le remercia de cette confidence et qu'elle lui dit :

" Vous êtes quelqu’un de bien bon. Si tous les vampires pouvaient avoir votre patience, votre capacité de discernement, votre réaction était des plus naturelles et pourtant vous y avez fait face. Je suis désolée pour vous, de la tournure de la suite des événements… Vous ne le méritiez, méritez point…"

S’arrêtant, pour reposer son regard vers le sien, elle pensait vraiment ce qu’elle lui disait. Le croyant sur parole, une confiance environnante, ses lèvres s’agitaient de nouveau :

" Si je puis me permettre… Vos parents sont des vampires aussi ? Vous l’êtes depuis la naissance ?

Cette interrogation pouvait paraitre étrange, mais elle se demandait si Kazuo ne serait pas de grande famille originelle, ayant vécue au Japon puis venue en Amérique. Si c’était le cas, Liam connaissait probablement son nom et leur réputation. Cela avait du jouer quant à l’exclusion de l’étudiant. Dans ses songes, elle attendait sa réponse mais aussi à ce qu’il vienne à lui demander quelque chose en retour et en échange, ce qu’elle acceptait et qu’elle voulait, lui accordant cette confiance, comme un privilège… Elle désirait partager un peu de ses secrets avec Kazuo…

Il lui suffit d’un simple croisement de regard, une simple rencontre nouvelle entre les cieux de son regard et la braise de celui d’Alexis, pour lui prouver qu’elle avait cru à son histoire. Il en ressentit un soulagement qui se diffusa dans tout son corps tel une sensation électrique, quelque chose qu’il n’avait que très rarement connu dans sa vie. Il détourna son regard et fixa la mer, se concentrant sur un point que lui seul pouvait voir. Finalement il ferma les yeux. Une fois de plus. Comme toutes les fois où il avait joint ses paupières dans sa vie si morne.

Puis sa voisine parla, en réponse à ses confidences. Une réponse qui lui fit rouvrir les yeux pour plonger ses pupilles céleste dans celles de son interlocutrice, écoutant ses mots tout en cherchant leur sincérité dans son regard. Oui, il était quelqu’un de bon. Une exception parmi les vampires. Probablement le seul d’entre eux qui déteste plus que tout mordre les gens, ceux qu’il aimait. Elle était également désolée que les événements aient pris une tournure aussi dramatique. Dramatique, mais fatale. Kazuo se contenta de hocher légèrement la tête, analysant le moindre de ses mots, les accueillant tout à tour dans son esprit, lui apportant un apaisement supplémentaire.

Il contempla son visage lorsqu’elle eut fini de lui adresser ce commentaire d’une sincérité à toute épreuve. Il avait déjà eu l’occasion de parcourir des yeux ce visage si délicat et si fin, encadré par ses mèches blondes devenues argentées à la lueur lunaire, embellies par ces deux joyaux rouges et éclatants qui cachait le fameux maelström et cet air animal tapi au fond d’elle lorsqu’il l’avait approchée sous la douce lumière du lampadaire, mais il la redécouvrait à chaque fois qu’il la regardait avec attention. Il eut alors l’intention de lui poser à son tour les questions qu’il avait en tête sans être complétées par leur âme sœur qui étaient les réponses qu’il désirait obtenir, mais Alexis.Grace le devança, lui posant une autre question qui concernait cette fois ses parents.

La réponse qu’il allait associer à cette question était évidente, voire naturelle. Il n’avait nul besoin de réfléchir pour la composer des mots et leur ordre qu’il fallait pour la formuler, pourtant il prit son temps avant de répondre. Cinq secondes au total.

-Mes parents sont des vampires aussi et oui je suis né avec du sang vampire dans les veines. Je l’ai seulement découvert avec l’aide de ces deux derniers dans les alentours de mon adolescence…

Il regarda alors une nouvelle fois dans les yeux. Il lui faisait une confiance infaillible, mais pourtant elle ne lui avait pas arraché un sourire. Non pas que ce type de relation ne suffisait pas à Kazuo pour lui faire retrouver la vie qu’il avait perdue sur le plan psychologique, mais que la définition même du mot "sourire" avait échappé à son vocabulaire. C’était ainsi… Dans tous les cas, il lui adressa à son tour sa question, et les lui poserait une par une, de toute façon il n’était pas vraiment pressé, il pouvait prendre son temps. Et ce temps, la nuit le lui donnait. Elle le lui avait toujours donné.

-J’aimerais m’informer de quelques diverses choses sur vous… Pour commencer, j’aimerais prendre connaissance du passé sur lequel vous avez construit votre vite si, bien sûr, vous n’y voyez nul inconvénient. s’engagea-t-il.

Il ne la lâcha pas des yeux. Désireux d’apprendre l’histoire d’Alexis, désireux d’apprendre de quelle race elle était, désireux d’apprendre tout ce qu’elle pouvait lui apprendre… désireux de connaître, de savoir… savoir tout ce qu’Alexis avait vécu et qui était assez important, assez notable pour qu’elle puisse le lui livrer.

Connaître Alexis, plus en profondeur, plus que par l’apparence. Voilà ce qu’il voulait. Ni plus ni moins. Cela lui suffisait.

Doucement, elle fera les yeux, soulevant délicatement ses épaules dans un haussement léger de ses clavicules. Les lèvres closes, les mots de Kazuo qui résonnait longuement dans son esprit, sans plus bouger dès à présent, elle sentait cependant le poids des belles prunelles du jeune homme sur ses courbes. Inspirant alors, sans dévoiler ses iris, toujours immobile. Le temps semblait se suspendre tout autour d’elle, l’instant d’un voyage dans son passé, accompagné du vampire, tout s’arrêtait comme si les lieux furent dénués de toute vie. Etait-elle vraiment à l’origine de cet otage d’essence ou les bruits ne parvenaient-ils plus à leurs oreilles sous l’importance de l’attention qu’il se portait. Tellement forte, que plus rien autour d’eux n’avait d’égal. Ouvrant lentement les yeux, relevant la tête, le visage incliné vers le haut, mais détourné de son interlocuteur. Gardant ses mains l’une sur l’autre, ses doigts s’entremêlaient alors, se serrant sensiblement entre eux. Les soulevant jusqu’à son buste, sur sa poitrine, comme pour exécuter une prière, il s’agira là plus d’une tendre complainte.

Comment commencer, qu’aurait-elle pu lui dire, lui avouer ? Qu’allait-elle faire ? Lui dire la vérité bien sur, mais elle ne devait pas se mettre en danger, ce qu’elle entendait par là c’est qu’elle se devait de respecter le fait et surtout l’obligation de ne jamais, ô grand jamais confier sa véritable nature à qui conque, sous peine de sanction et conséquence. Excepté cela, elle n’avait point de crainte face à Kazuo, aucune même. Elle baissa un peu la tête, songeant à ses tournures de phrases, ses lexiques, ce vocabulaire à utiliser. Le vent souffla de nouveau, balayant sa longue chevelure, lui susurrant comme une maxime, ravivant ses souvenirs. Au loin, un écho, un murmure qui s’imprégnait sur ses lèvres et on sentait que bientôt, elle lui chanterait ses notes qui animaient les tréfonds de son âme, les hurlements de son cœur blessé. Reportant son regard de braise, qui filait dans une droiture, loyauté incroyable, sa voix elle, d’une partition harmonieuse, comme un ruban de ses sentiments qui annonçait le triste mais prenant poème de sa vie :

" Reprenons au début. Je… Je n’ai pas connue mes parents. Ils sont morts à mon plus jeune âge et c’est ma mère plus que souffrante qui s’est jeté à mon secours et s’est trainé jusqu’à ceux à qui elle me confirait, sans pouvoir rejoindre le corps inanimé et meurtri de l’être qu’elle aimait. On a coupé le fil de sa chance, elle a expirée son dernier soupire sur les dalles d’un grand manoir, l’honorant de son sang… "

Alexis marqua une pause, reposant ses mains sur ses cuisses, séparées maintenant, son être qui se déchirait. Elle poursuivit sans attendre, les pulsations de son cœur qui s’agitaient et qui la poussaient à s’en défaire par la rhétorique :

" Sang, dont les vampires qui habitaient ses bâtisses s’en délectaient, cette saveur unique et pourtant souillé par les tiers environnants (Par exemple les graviers jonçant le sol.) mais sans la toucher, sans aller à la source défunte de ce liquide vital encore chaud. Oui, elle m’a donné, placé sous la responsabilité de vampire, mais surtout d’un vampire en particulier… "

L’image, ses traits, revenaient à elle. Un sourire sur ses lèvres devant ce portrait qu’il ignorait. Se doutant de la curiosité piquée au vif de Kazuo, elle ne le fit pas plus attendre :

" Mes parents, n’étaient pas des humains, ils étaient les derniers d’une grande lignée, une flamme désormais éteinte. C’est le patriarche de la famille Williams, cette puissante famille vampirique, qui me prit sous sa responsabilité. J’ai été élevée, j’ai grandi parmi ceux de cette… De votre espèce… N’y voyez rien de négatif, de dédain ou de supériorité dans ces propos… "

Elle devait tout à Liam et elle le savait. Elle ne se permettrait pas de critiquer la race qui l’avait prit sous son aile surtout devant l’un de leur. Bien que cela ne l’empêchait pas de les prendre en chasse et bien pire encore. Alexis continua, venant à un point sensible :

" J’ai déjà embrassé la mort, plus d’une fois, et il est arrivé que je sois revenue en temps qu’humaine, mais on attend plus de ma personne… "

Soutenant le regard de Kazuo, elle lui accordait et lui fournissait ainsi de précieux indices sans être pour autant explicite. Tout le contraire même. Etant enfant, elle se souvenait avoir écrit le mot « mourir » avec deux r, et quant on venait à la questionner sur cette faute d’orthographe intentionnelle et répétée, elle fabulait qu’on ne périssait pas qu’une seule fois, alors elle ne mettrait ainsi pas qu’un seul « r » mais plusieurs dans la mesure du possible, cela aurait été ridicule d’en ajouter trois (« mourrrir »), cela n’avait pas de sens, que deux, c’était tout à fait envisageable. Alexis avait mal et il lui fallait un peu de temps pour se reprendre, ainsi, elle demanda :

" Permettez-moi une pause, je vous prie… "

Peut-être trouverait-il ainsi un moment pour l'aider et cibler ses prochains questionnements...

Elle resta d’abord silencieuse, fouillant sans doute ses souvenirs archivés dans sa mémoire depuis tant de temps qu’elle devait faire un tri soigneux avant de lui en faire part. Il redoutait bien évidemment que ce récit ne serait pas assaisonné d’un hypothétique ou quelconque bonheur. Il lui suffisait d’aviser le visage torturé d’Alexis.Grace pour anticiper le ton maussade de cette histoire qui ne tarderait pas à dénouer son long fil que le temps avait pris son temps à tisser. Ne la lâchant pas de son regard perçant et bleu ciel, comme pour lui apporter un réconfort, lui tenir la main sans avoir à le faire physiquement, il la laissa démêler le puzzle larmoyant de sa vie sans rien dire, se disant – et cette raison s’ajoutait aux autres – qu’elle l’avait laissé, lui, choisir son début, son déroulement et sa fin, ainsi que les mots qui composaient l’histoire qu’il lui avait confiée, qui tissaient à eux seuls toute une vie qui aura duré 17 ans… et qui durait encore.

Finalement, elle se décida enfin à parler. Vider sa conscience de ce poids horrible que le jeune vampire japonais était prêt à recevoir en compensation de la légèreté que lui procurait l’absence du sien. A mesure qu’il l’écoutait, la compassion grimpait. Gravissant chaque échelon à chaque mot qui lui servait de pied d’appui, son visage n’en fut toutefois pas affecté. En tout cas, cette histoire de parents morts et de la mère qui parvenait à confier son enfant à celui qui deviendra son père adoptif avant de sombrer définitivement dans le repos éternel fut le point centre de son attention sur cette première partie du récit.

Puis vint le moment où le personnage clé entra en scène. En effet, elle parla tout d’abord des vampires qui s’étaient délectés du sang que sa mère avait versé au bord du temple tel une offrande, mais un vampire particulier fut cité au milieu de cet océan de mots qui coulait de la bouche d’Alexis comme un apaisement, un pansement pour son âme. Ce personnage ? Le patriarche de la famille Williams, selon la conteuse. Et la famille Williams était une puissante famille de vampires. Kazuo n’en avait jamais rien su… La seule famille vampirique qu’il n’avait jamais connue était la sienne. Il ne s’était jamais posé la question ou l’idée ne lui était jamais venue de s’informer de l’existence d’un autre clan représentant cette race aux affinités nocturnes et aux goûts culinaires jugés étranges par Kazuo, vampire lui-même… Il ferma un instant les yeux lorsque sa voisine reprit sa phrase vers la fin de la dernière partie de cette phase de l’histoire, pour les rouvrir lorsqu’elle s’interrompit à nouveau.

Lorsqu’elle reprit la parole, il rouvrit les yeux. Cette dernière partie était courte, mais éloquente, prometteuse que cette partie de l’histoire n’en était que le premier chapitre, prometteuse d’avoir une suite plus construite, plus longue, ou moins… Mais Kazuo était certain que cette histoire n’était pas sans suite. Et cette certitude fut prouvée par la demande de son interlocutrice : celle de lui octroyer une pause. Le jeune homme brun n’hésita même pas avant d’accepter. Ne signala même pas cette acceptation. Il se contenta seulement de plonger son regard dans le sien, lui prouvant qu’il était là, physiquement comme mentalement, là pour écouter ses paroles, accueillir le moindre de ses mots, alléger sa conscience, l’apaiser, la panser… Il se contenta seulement de lui glisser quatre mots. Quatre mots qui marqueraient cette pause. Une pause qui, elle, se chargerait de redonner à Alexis la force de poursuivre son histoire.

-Je vous l’accorde… dit-il alors tout simplement, sans détacher ses yeux de la jeune fille.

Pendant ce temps, il tenta de préparer ses prochaines questions. Pour ce qui concernait sa race, il n’était plus très sûr de savoir à laquelle elle appartenait. La précision comme quoi ses parents n’avaient pas été humains… pour s’opposer au fait qu’elle revenait en tant qu’humaine de ses rendez-vous avec la mort. Il ne s’en rendit compte que maintenant : l’histoire qu’elle lui relatait, son histoire, à elle seule répondait aux questions qu’il aurait voulu lui poser. A quelle famille appartenait-elle ? Avait-elle conservé un lien avec sa famille ? Il retrouva alors deux questions auxquelles cet ensemble de mots qui composaient cette histoire ne répondaient pas… Il attendrait cependant le dénouement avant de les lui poser. Simultanément, en une seule question.

" Je n’ai pas su son nom et son prénom avant longtemps, mes dix-huit ans exactement, sans même la connaitre, la voir, sans avoir pu grandir à ses cotés, pleurer dans ses jupons, caresser ses cheveux de mes fins doigts candides, j’étais enfant et toujours sans aucune illustration corporelle ou spirituelle de sa personne, je la sentais près de moi, comme si sa main était sur mon épaule, mais que je me retourne, seul le vent m’emporte dans ses bras. J’avais son visage en tête, comme gravé, je n’étais qu’un bébé quand elle se penchait vers moi et il n’y a qu’à cet instant que mon esprit a pu soutirer ses informations physiques, c’est impossible de se souvenir à un si jeune âge… Puis mon cœur s’est stoppé et elle est venue m’embrasser, me redonnant un souffle de vie. Je l’avais toujours vu ainsi du haut de mes cinq ans, je la revoyais dans la mort, une nouvelle fois. Simple rêve ? Utopie de mes envies ? Non, quant on m’apporta une photo d’elle, je la reconnue, immédiatement, instantanément. Pas de doute possible, comme un instinct naturel, surnaturel, surpuissant, un amour hors du commun de tous les mortels, une entité qui pourrait même défiée l’immortalité…"

Alexis baissa un peu la tête, reprenant sa respiration, suite à ces mots qui la tiraillaient mais qui semblaient se hâter contre ses chaines, arrachant certains maillons qui les composaient. Reportant ensuite son regard vers Kazuo, le remerciant de la patience et de son écoute, tout ce qu’il pouvait accorder à la jeune femme. Ses doigts glissant ensuite sur son visage, entre ses mèches, frôlant ses tempes, levant la tête vers les cieux, devant son impuissance. Ses cheveux ondulaient sur les multiples roches, elle ferma les yeux. Savourant ce doux silence, qui lui était nécessaire pour ensuite continuer à parler, à raconter, les faits… Son histoire, était un récit qu’elle aurait pu conter jusqu’à sa mort… Une mort plus lointaine bien sûr. Une vie s’écrit, à fil des jours, toujours, en perpétuel renouvellement, les secondes, les minutes, les heures, les nuits, une éternité aurait été indispensable. L’essence même de la vie qui brûle, se consume et même si elle n’est plus là, on parvenait à sentir sa présence. Même infime, soit elle. Sa bouche s’anima, pour laisser dans un soupire s’échapper :

" Ma mère et moi, avons un lien particulier, sûrement différent, elle n’était pas humaine.

Se replaçant correctement, le muscle vital qui alimentait le reste de son être en sang, martelait sa poitrine. Elle savait qu’à tout moment, il pourrait lâcher, qu’arriverait-il ensuite ? Secouant un peu la tête pour ne plus y penser, c’était sain, les pulsions, ses battements, elle le sentait jusqu’aux extrêmes phalanges, dans chaque parcelle de ses linéaments charnels. Ça lui collait à la peau, sans qu’elle puisse s’en défaire, s’en détacher, bien souvent, elle avait immergé tout cela mais ça revenait toujours à la surface, et sa flottait dans ses belles prunelles. Ses yeux tournés vers son interlocuteur, que se passerait-il ensuite ? Pourrait-il la comprendre, oui, évidement. Si elle avait pu se confier à lui, c’est qu’elle voyait au plus profond de son âme ce qu’il pouvait dissimuler, lui offrir. S’effeuillant à son tour, la plus extravertie des Roses Rouge qu’elle fut perdait ses pétales, pour laisser au vampire certains détails que ces derniers cachaient. Rare était cette attention, c’était un véritable privilège qu’elle lui accordait là, sans même s’en rendre compte…

Ses lèvres closes, la nuit environnante, tous deux dans cette obscurité, elle avait mal mais elle était dans un même temps, étrangement bien. Cependant et très spontanément, quelque chose vint à ces dernière, une confession, qu’elle se devait de partager, pour elle ne savait réellement quelle raison, mais il fallait qu’elle l’extériorise, et vite. Ça montait en elle de plus en plus rapidement, ses iris s’agitaient, tremblotaient même dans une frénésie dense qui ne se lisait qu’à cet instant, ajoutant à voix terriblement base en se tournant vers sa personne, le fixant le plus normalement du monde, en comparaison à son état précédant :

" Kazuo, je vais bientôt mourir..."

Une seule et unique larme coula de son œil gauche, laissant un long fil d’eau sur sa joue. D’une sincérité étonnante, d’une vérité incroyable, une émotion tellement forte, que toute son aura venait se confronter à celle de l’étudiant et à tout ce qui les entouraient, elle grandissait encore et encore et s’engouffrant dans la pénombre, se confondant avec, dans ce signe ultime...

Comme lorsque sa mère lui avait raconté des histoires dans son enfance, Kazuo l’écouta. Il écouta son interlocutrice avec une attention, une patience et une sincérité qui aurait pu se lire dans ses yeux comme dans un livre ouvert. Cet amour voué à sa mère, décrit avec une telle précision, une telle émotion… les émotions étaient dans les mots. Kazuo l’avait perçu. Un amour immortel, gravée en elle pour l’éternité. Dans sa chair, son sang, ses fibres, son être… son âme. Un amour pourtant bloqué par une barrière infranchissable, inviolable et impénétrable. La séparation.

Une fois son récit terminé, la jeune femme tourna une nouvelle fois ses yeux vers Kazuo qui ne voulut alors pour rien au monde détourner le sien. Soutenant son regard, lui exprimant sa compassion et sa sincérité… tout ce qu’il ressentait… Il ne ferme toutefois qu’une seule fois les yeux. Alexis le remercia de l’écoute et la patience qu’il lui avait accordées. Ce fut à ce moment-là. Simplement pour lui signaler qu’il ne valait pas la peine de le remercier. Elle l’avait écouté, il l’avait écouté. Et même sans lui avoir confié ses tourments avant elle, il l’aurait laissée parler, se confier, s’exprimer. Il rouvrit les yeux et la regarda de nouveau, avant de voir qu’elle relevait la tête vers le ciel. Il détourna alors les yeux, fit pivoter sa tête sur le pivot qu’était son cou. Il regarda longuement et distraitement les vagues, douce et paisible, de la nuit caresser les roches de sa grâce et sa douceur maritime, laissant un souvenir brillant à la lueur de la lune sur la surface pierreuse des roches qu’elle reviendrait effleurer. Se rappelant alors qu’il avait une question… non… deux questions à lui poser, en une seule, il reporta doucement son attention sur sa voisine…

… elle le devança. Elle le devança par une phrase. Une confidence prononcée, évacuée dans un soupir qui s’échappa dans l’atmosphère pour s’y glisser, s’y dissoudre… Une confidence qui l’a concernait elle. Et sa mère. Ainsi donc un lien particulier, différent les unissait selon elle, et la personne qui avait donné la vie à celle qui parlait actuellement au jeune vampire brun n’était pas humaine. Sur le coup de cette confidence, Kazuo hocha légèrement la tête sans rien dire. Il avait l’intention de ne rien dire. Laisser Alexis parler jusqu’au bout, lui permettre de prendre connaissance de ce dont elle avait souffert jusqu’au bout… lui expliquer jusqu’à la fin les raisons de l’existence de ce maelström de sentiments qu’il avait décelé en elle en sondant son regard de la surface jusqu’au plus profond de son être pour y trouver cet air animal tapi au tréfonds de son âme.

Désormais, Kazuo savait. Il savait pourquoi cette allégorie existait, mais pas complètement… Il ne sut d’où venait cette sensation, mais il sentait que ce n’était pas fini. Il sentait qu’Alexis ne lui avait pas tout dit, qu’il restait un épilogue à tout ça… non, pas un épilogue… une conclusion. Une conclusion qui bouclerait l’histoire comme un dernier maillon bouclerait une chaîne, comme une dernière pièce achèverait la composition d’un assemblage… Cette sensation se transformant peu à peu en certitude, sa voisine lui confirma celle-ci en fixant une nouvelle fois son regard vers elle, captant son regard et lui arrachant ses mots de sa bouche qui resta close, tandis que ses yeux lui exprimaient une nouvelle fois plus que les mots en auraient été capables son écoute. Totale. Sincère.

Ses lèvres remuèrent, tandis que sa voix traversait ses cordes vocales pour franchirent sa bouche, alors qu’elle prononçait cette dernière confidence que Kazuo s’était attendu à recevoir. Une confidence qui provoqua enfin une réaction, chez lui. Bien visible. Sur son visage. Ses paupière inférieures se soulevèrent légèrement… il écarquilla légèrement les yeux, tandis qu’un de ses sourcils s’arquait, et que sa bouche s’entrouvrait légèrement, achevant d’exprimer sa stupéfaction…

Alexis.Grace Williams, cette jeune femme qui l’avait fasciné dès le premier regard, dont les yeux de braise si magnétique cachaient cette puissance émotionnelle, cachant cette aura animale… allait bientôt… mourir… ?

Une larme coula des yeux de la jeune femme. Une seule et unique. Humidifiant le brasier que représentait son regard, l’inondant d’un sentiment puissant que Kazuo aurait qualifié de douleur, devant cette terrible certitude. L’esprit de Kazuo fut alors déserté des questions qu’il voulait lui poser en une seule formulation pour laisser un chapelet d’interrogation se disputer dans son esprit. Pourquoi allait-elle mourir ? Quand cela allait-il arriver ? Comment connaissait-elle l’existence d’une telle fatalité ? Et comment savait-elle, même, qu’il s’agissait d’une fatalité ? Il la regarda profondément, plongeant son regard bleu dans celui, rouge, d’Alexis, tandis qu’il parla enfin… pour lui poser une seule question.

-Excusez mon indiscrétion… Mais… J’aimerais seulement savoir… Quelles sont les raisons qui vous poussent à croire que…

Il ne put terminer sa phrase. Ses derniers mots fondant dans sa gorge, celle-ci étant nouée par le choc, ne parvinrent pas à franchir ses lèvres. Refusant toutefois de juguler la gêne, la frustration qu’avait provoquée le blocage de ces trois derniers mots qui auraient clôturé la question, il continua de regarder Alexis dans les yeux. La regarder dans les yeux pour lui apporter un soutien plus puissant que celui qu’aurait apporter un quelconque contact de leurs mains.

Les cheveux au vent, qui dans une déferlante faisait danser ses fils capillaires avec vivacité, comme si, la jeune femme défiait les éléments de la Nature même, la Nature mère, en parvenant à prédire avec exactitude ce qu’Elle lui réservait à l’avenir. La narguant, de savoir, le plus pertinemment au monde que cette dernière lui arracherait très prochainement son dernier battement vital. Que ses mains autour de son cœur d’humaine se resserraient pour l’arrêter dans une douce douleur, légère. Mais qu’elle repousserait une pression sur ce dernier pour le faire repartir avec quelques minutes ou quelques heures, selon son envie, sa patience. Et cette fois-ci soit quelle forme reviendrait-elle. Ça, malheureusement, elle ne pouvait pas le deviner. Soupirant lentement, Alexis quitta un court moment Kazuo de ses beaux yeux, les iris du jeune vampire qui lui apportaient un soutien à l’épreuve de toute autre forme d’affection, geste d’appui. Les larmes glissaient longuement sur ses joues. Formant deux tracés exacts dans leurs directions. Ces perles qui roulaient sur son cou et qui ondulaient ensuite dans son blouson de cuir.

Alexis ne pouvait pas les retenir et dans un même temps, elle avait besoin de son contact humide, de l’eau. Elle ne pleura pas longtemps. Sans même émettre de gémissement, sans avoir une respiration bruyante, coupée, saccadée. Calme, mais pas pour autant éprise de quiétude. Seuls ses deux traits de liquide salé fissuraient son visage pour montrer sa détresse, sa tristesse. Celle qui sait qu’elle va mourir, meurs deux fois. En plus de cela, c’était déjà arrivé quant elle n’était qu’une enfant. Elle connaissait ce sentiment, ce qui allait lui arriver. Le japonais était curieux de ces motivations qui la poussaient non pas à croire cela mais bien à lui affirmer. Trouvant difficilement se mots, tout aussi déboussolé. La représentante Guilty posa de nouveau ses prunelles à hauteur des siennes, dans une intensité sans égale. Sa main se retrouva sur se propre poitrine, se plaçant au coté gauche. Son regard qui le transcendait, franchissant les barrières de tous ses sens plus qu’éveil, dans une implosion hors du commun mortel. Elle lui murmura :

" Je suis humaine, mais plus pour longtemps. "

Et c’est surement pour ça qu’elle lui avoua. L’effet d’une autre explosion. Tout semblait comme magnétique au contact de la jeune femme, bien disposée à lui apporter une réponse, à ces fragments qui ne formaient qu’une interrogation. Fermant les yeux et inclinant son visage vers les cieux et ses étoiles, elle poursuivit :

" C’est quelque chose qu’on sent. Quelque chose qui m’appelle, même au plus loin, c’est là, je t’entends, même au plus profond de moi, ça m’attire. C’est quelque chose que je connais, mon cœur s’est déjà arrêté, plus d’une fois, j’en avais toujours conscience un peu avant que ça se produise, c’est pour ça qu’on a réussit à me sauver des griffes de la Mort, quand j’étais en âge de m’en souvenir. "

Et elle lui expliqua ensuite, un peu plus en détail, un autre composé de cette vérité :

" Je fais souvent ce rêve, qui je crois, est aussi un flashback. Je ne peux me tromper sur ce sujet. Malheureusement... "

Son attention vers Kazuo, elle haussa doucement les épaules, sans plus rien ajouter, même si elle aurait pu lui conter ceci en détail, elle était sûre qu’il viendrait à lui demander si sa curiosité lui exigeait. En attendant, peut être qu’il voulait savoir autre chose. Impossible pour la jeune femme de se prononcer sur la suite des événements. Détournant un peu le regard, dans un silence complet, elle patientait, attendant ces mots qui viendraient la délivrer. Observant la cage que les astres formaient au dessus de sa tête, et celle de son interlocuteur. Tout autour d’eux, semblaient, paradoxalement, reprendre vie. Les bruits des vagues frappant ces roches et le sable, par exemple qui s’étaient précédemment estompés. Les quelques animaux nocturnes qui se manifestaient alors. Le tout dans une harmonie totale, de plus agréable, eux qui bientôt pleureraient, chanteraient, la perte d’Alexis Grace Williams…

Pleurer. Les larmes. La matérialisation des émotions qu’il fallait absolument évacuer par les yeux pour éliminer la tension ou les émotions négatives qui nous rendent malheureux pour se débarrasser d’un quelconque poids sur le cœur. Alexis.Grace avait mal et ses larmes coulaient, se succédaient, telles une cascade d’eau intarissable, coulant sur la peau lisse de la joue, puis de son cou, pour se perdre ensuite dans le cuir du blouson qu’Alexis portait. Kazuo la laissa s’exprimer, sortant une de ses mains de la poche dans laquelle elle se cachait, l’envoyant effleurer l’épaule d’Alexis… l’effleura. Du bout des doigts, puis de la main entière. Légère, le jeune vampire se demandait vaguement si Alexis sentait cette main légère lui effleurer le blouson pour lui apporter un soutien cette fois physique, un réconfort charnel, chaleureux… matériel. Il laissa sa main glisser le long du bras d’Alexis pour ensuite remettre sa main dans sa poche. Si son regard n’exprimait rien, mis à part le moindre soupçon de compassion, ou aucun sentiment quelconque, son geste, sa main, sa chair en débordaient.

Puis elle tourna de nouveau son regard fascinant vers le sien, intense… et Kazuo ne détourna pas le sien. Un regard, sa main qui se posa sur sa poitrine au niveau de son cœur, puis un murmure. Bref. Sept mots au total. Sept mots qui constituèrent une réponse à la question que Kazuo voulait lui poser depuis le début. Elle était humaine. Les quatre autres mots lui soulignaient à contrario le fait qu’elle ne le resterait pas longtemps. Intrigué, il plongea son regard céleste dans le sien pendant qu’elle poursuivait. Elle lui détailla alors la sensation que cela faisait germer en elle, grandir en elle, quand cela lui arrivait, quand cela lui était arrivé. Kazuo fut attentif à chacun de ses mots comme il l’avait été depuis le début… jusqu’à ce qu’elle lui précise qu’il ne s’agissait de rien d’autre que d’une fatalité, bien malheureusement.

Le jeune homme brun l’observa sans rien dire. Alexis était quelqu’un qui comptait beaucoup pour lui… non… énormément. Il lui avait conté son histoire, avait reçu la sienne… une amitié particulière s’était tissée entre eux durant cette nuit qui avait paru et paraissait encore interminable aux yeux du jeune vampire… Une amitié presque palpable, matérielle, visible. Si proches… et pourtant si éloignés par le destin.

La perdre alors qu’il venait à peine de la connaître… son prénom, son nom, son histoire… allait-il encore devoir supporter une perte ? Toutes ces trahisons qui s’étaient accumulées dans sa vie, sa solitude qui l’avait étouffé, toute cette souffrance qui avait tué sa personnalité, sa vitalité… sa vie intérieure… Il l’avait remarqué depuis longtemps de toute manière. A chaque fois que la vie avait un coup à donner, elle en faisait cadeau à Kazuo. Son souffre-douleur préféré. Comme si elle n’en avait pas d’autre… La vie était pourtant partout, omniprésente, puissante, âme sœur de la mort, Kazuo l’avait toujours assimilée à Dieu. Pourquoi s’acharnait-elle sur lui à chaque fois qu’elle avait l’occasion d’exprimer une de ses sautes d’humeur ?

Le jeune homme brun détourna son regard, les yeux fermés, la lèvre inférieure puissamment serrée par ses dents, son nez présentant des rides sur sa peau qui constituaient une grimace… tandis que sa main droite sortait à nouveau de sa poche pour se porter à son cœur meurtri. Sa main entra en contact avec le textile de sa chemise boutonnée jusqu’en haut du torse. Les cinq doigts qui l’étendaient se refermèrent sur ce tissu, formant un poing qui serra le textile de ce doux vêtement dont Kazuo avait l’habitude de se vêtir de ses différents exemplaires, froissant ce tissu, tandis que le poing serré de Kazuo se plaquait durement contre son cœur endolori… et que le jeune homme serrait les dents. Son cœur saignait. Il était couvert d’une multitude de cicatrice, de meurtrissures en tout genre que la vie lui avait offertes sans la moindre affection, la moindre pitié… SI ce que disait Alexis survenait réellement, alors il ne saurait dire si ses blessures se rouvriraient ou si une nouvelle naîtrait dans son âme blessée.

Il s’isola alors dans son monde de douleur, son monde obscur, entouré de ces chaines qui s’étaient succédées au fil de sa vie aussi cruelle que monotone, lui écorchant les poignets et entravant sa circulation sanguine… indifférent au bruit des vagues ou au ciel nocturne qui brillait de tous ses feux au-dessus de sa tête et celle d’Alexis qu’il allait bientôt perdre selon les dires de celle-ci. S’extrayant de son douloureux subconscient, il rouvrit les yeux, laissa ses dents libérer sa lèvre inférieure qu’il entendit presque soupirer de soulagement, suivies des ailes de son nez qui redevinrent lisses… jusqu’à ce que ses paupières bouclent cet enchaînement en se séparant. Son point serré sur sa chemise au niveau de son cœur se desserra et retourna dans sa poche en tremblant. Le jeune homme brun leva la tête, son regard céleste se perdant dans l’extension de ses pupilles qui brillait du millier des astres qui le décoraient… Puis il se tourna enfin et à nouveau vers Alexis.

-On ne peut donc rien y faire… rien changer à ça… conclut-il dans un soupir affligeant de mélancolie. C’est écrit…

Cette conclusion portant en elle un soupçon d’interrogation, il savait pourtant qu’Alexis n’irait pas plus loin, ne pourrait sans doute pas aller plus loin dans ses explications. Il poussa un léger soupir. L’un des rares qu’il avait poussés dans sa vie. Il ne savait quoi dire… La rassurer ? Insister sur une autre question qu’il saurait pourtant sans réponse ? La supplier de ne pas se soumettre à son destin ? Tenter… d’esquiver… ? Non… Il ne sut quoi dire. Aucun mot n’escalada sa gorge, aucun mot de franchit sa bouche… Seule l’évidence, la fatalité l’éreintaient, l’affligeaient. Un peu plus… Lorsque des mots se décidèrent enfin à réclamer leur liberté :

-Ce n’est pas une intuition, si je comprends bien vos dires… parvint-il à articuler. C’est une évidence… comme une vision de l’irrémédiable… Ai-je vu juste ?

Alexis sentait le poids de ses multiples chaines, le métal serrant son cou, entourant ses poignets, liant ses chevilles, c’est une traine bien funeste qu’elle portait quant elle en déplaçait les maillons. Elle baissa la tête, fermant les yeux, se présentant intérieurement ce qui la tiraillait du plus profond de son âme, ce qui la blessait physiquement parlant. Tournant ses paumes de mains vers son regard, ses prunelles qui se dévoilaient alors, observant cette illusion de gros bracelets comme menottées, ne voyant aucune issue, aucune serrure pour s’en libérer. La jeune femme savait déjà qu’elle trouverait la clé dans la Mort. Et comme l’avait dit Kazuo, on ne pouvait rien y faire. Peut être que même en expirant un dernier soupire vital, le moment où elle viendrait à rouvrir les yeux se relèvera être tout aussi délicat que cette vie. Les images de sa personne dans différentes situations se brusquaient dans son esprit, comblant le silence qui s’était installé entre les deux protagonistes. Ses traits se dessinaient, puis se désassemblaient, inclinant la tête vers le haut, au niveau du visage du jeune homme mais avant sur ses courbes et ses doigts qui tenaient fermement son vêtement. Elle crut en voir se défaire, un filament rouge qui les reliait alors. Secouant la tête, il n’en était évidement rien.

La symbolique y était pourtant pour beaucoup et elle crut revoir certains de ses tourments en Kazuo. Réfléchissant à cela, elle se demandait si ce dernier ne fut pas si bien entouré. Ne pourrait-elle rien faire pour lui venir en aide ? Ne connaissant en rien son cercle relationnel, elle préféra prudemment songé qu’agir sans considération. Il reprit la parole, mais ses lèvres ne se mouvaient pas de suite pour lui apporter une réponse. Refermant les yeux, et inspirant longuement en gardant le silence, elle sentait cette mélancolie, cette tristesse, ce désarroi. Le fait qu’on viendrait peut être à les séparer aussi brutalement et surtout aussi rapidement qu’ils se soient rencontrés. Elle ne pouvait estimer l’impact que causerait cet arrachement de sa personne à la sienne. Alexis ne pouvait quand même pas le laisser ainsi, tout seul… Il chercha quelque chose à faire, quelque chose à dire mais en vain. Comprenant cette attitude et son comportement, elle laissa un fin sourire se dessiner sur sa bouche, celle-ci qui s’animait alors, lui donnant ces quelques mots :

"C’est exact..."

Simple, certes. Elle marqua une pause, restant immobile. Elle se redressa un peu, son attention de nouveau vers Kazuo, ses iris portés vers les siens, encore longuement fixés. Elle s’accrocha à ce sourire qui filait une parfaite harmonie avec l’ensemble de ses traits. Ayant maintenant pour but d’essayer de lui redonner. Alexis poursuivit alors :

"Peut être avez-vous remarquez certaines particularités, que ne sont pas, vraiment humaines..." (Voir le ton du Chat du Cheshire à 2:27)

Elle frappa dans ses mains, un claquement qui semblait alors briser tout ce qui se trouvait autour d’eux. Mais plus impressionnant, le vent se leva alors et souffla vivement d’un coup, avant de retomber comme partit, au loin, emporté par le large d’où il était venu. Comme si elle était à l’origine de ce dernier. L’était-elle vraiment ? Un mystère, fatalité, une simple coïncidence, un coup de chance ? La représentante Guilty ajouta, sans faire souligner davantage ce fait :

"Rien que par mon physique, vous en connaissez beaucoup de jeunes femmes aux cheveux quasiment blancs et aux yeux aussi rouges que les miens ? ... Le tout naturellement bien sur ! Ainsi que ses crocs, qui ressemblent tant aux vôtres…"

Elle détournant un peu la conversation c’est vrai, mais venant ensuite placer sa main sur l’épaule du jeune garçon, elle lui avoua, d’un ton plein de quiétude, extraordinairement calme, délicat, rassurant, alors que ses doigts glissaient pour le quitter, dans une affection douce, un acte bien limité, pas trop court, ni trop long et poussé :

"Ne vous en faites pas Kazuo. Mais si cela est écrit, il s’agira surement d’un dénouement et non d’une fin de mon récit... Je le prends comme ça, je le ressens comme ça. Je n’aurais peut être plus besoin de refouler tout ce qu’on a pu m’affubler, et surtout, ce que je suis vraiment…"

Elle haussa faiblement les épaules, mais continua :

"Je ne voudrai pas être une autre source de soucis pour vous, comprenez le… Je vous promets que ça ira. Même si, j’avais besoin de vous l’exprimer. N’ayez crainte…"

Dès lors qu’il avait parlé, il ne sut d’abord ce que pensait Alexis, ce qu’elle allait dire, faire… Tout ce qu’il pouvait faire maintenant, sur le moment, c’était attendre la réponse d’Alexis. Celle qui répondrait à sa question, comblerait, complèterait ses interrogations. Pendant que son silence alimentait doucement la nuit fraîche et paisible, pendant qu’il se mélangeait à la fraicheur de l’air environnant, pendant qu’il tentait de radoucir l’ambiance… pendant qu’il creusait ce gouffre déjà profond dans l’âme du vampire… il regarda la mer, les yeux perdus dans le vide, tandis que cette étendue aqueuse caressait encore les roches qui l’entouraient. Avec une grâce et un silence qui lui étaient propres, qu’elle seule possédait. La mer caressait les roches gracieusement et silencieusement, le ciel s’étendait sous eux. Indifférent, insouciant, silencieux, scintillant. Son regard bleu ciel se perdit alors une nouvelle fois dans l’horizon, cherchant à savoir ce qui se trouvait droit devant, dans l’harmonie nocturne du ciel et de la mer.

Sa rêverie fut toutefois coupée court par une phrase d’Alexis. Une simple phrase. Courte, brève. Trois mots en tout. Trois mots qui suffirent à Alexis pour attirer de nouveau l’attention de son interlocuteur à elle. Il la regarda dans les yeux, tandis que ce sourire qui rendait Alexis si vivante, jolie… donnant envie de réfuter l’idée que son heure allait venir, qu’elle venait actuellement en courant pour l’emporter avec elle dans un lieu où personne ne pourrait les suivre, où Kazuo ne pourrait les suivre, les retrouver… un endroit que cette heure seule connaissait, sans en parler à personne. Ce sourire fit cet effet-là à Kazuo. Enfin presque. Son conscient soutenait l’idée qu’elle ne mourrait pas, soutenue par ce sourire, tandis que son inconscient luttait, lui hurlant qu’elle mourrait tout de même, sourire ou pas… Pendant que Kazuo subissait ce duel intérieur, Alexis lui offrit quelques mots supplémentaires. Des mots qui formaient une remarque à la nuance interrogative. Une question à laquelle Kazuo aurait été tenté de répondre positivement s’il avait été lucide à ce moment-là. Evidemment qu’il avait remarqué des particularités pas vraiment humaine, selon les dires de la jeune femme. La première qu’il avait trouvée s’avérait être ce maelström émotionnel qui était niché dans le regard brasier d’Alexis.Grace.

A la suite de cette dite question, elle claqua ses mains l’une contre l’autre, brisant le silence nocturne déjà fissuré par leur conversation sereine, mais mélancolique. A la suite de ce claquement de mains survint une déferlante de vent. Vive et instantanée, mais brève. Ce déferlement d’air frais repartit alors aussi vite qu’il était arrivé. Vers la mer. Comme s’il n’était jamais venu… Alexis se remit alors à parler… Elle se mit à se décrire pour offrir un fond à sa précédente remarque interrogative. Une description maquillée par une interrogation vers le début de cette phrase orale… S’il avait déjà vu des jeunes femmes aux cheveux blancs, au regard rouge, ainsi que des crocs semblables à ceux des vampires… ? Non c’est vrai… S’il se concentrait sur tous les humains qu’il avait eu l’occasion de croiser auparavant, ceux qui l’avaient plongé dans sa déchéance psychologique apparemment définitive, il était bien forcé d’avouer que des jeunes et charmantes personne à l’instar d’Alexis ne s’étaient jamais donné la peine de prouver leur existence, voire même… d’exister… cette fille était-elle donc unique ?

-Je suis bien forcé d’avouer que vous dites vrai… finit-il alors par répondre. Des humaines pourvues de vos particularités que vous classez de pas vraiment humaines, je n’en ai pas vraiment croisé… Mais je dois vous dire également que depuis mon enfance, je n’ai plus vraiment voulu fréquenter d’humains après ce qu’ils m’ont fait subir par le passé…

Il sentit alors quelque chose se poser sur son épaule, pressant le tissu de sa chemise contre sa peau, sa chair, son os. Cette main fut accompagnée d’une tirade composée dans un but rassurant, rassérénant. Kazuo l’écoutait et comprenait. Elle ne prenait pas son éventuelle fin au premier degré, mais elle choisissait plutôt de le voir sous un jour moins terrible… Le jeune vampire japonais s’en avérait pourtant à moitié rassuré. Si Alexis prenait cette échéance avec allégresse, lui ne savait pas s’il pourrait supporter une nouvelle séparation… forcée… Seulement, lorsqu’elle lui confia qu’elle ne souhaitait pas être une autre cause de souffrance morale pour lui, il ferma les yeux. Sans sourire. Sans jamais sourire. Sans jamais avoir pu sourire.

-Ne vous en faites pas… répondit-il encore une fois, rouvrant les yeux et replongeant son regard bleu ciel dans celui rouge de son interlocutrice. Vous imaginez bien que votre perte me causera un déchirement supplémentaire… Mais je sais vivre. Je n’en ai peut-être pas l’air au premier abord avec mon air sombre et renfermé, mais je sais aller de l’avant malgré les aléas de la vie auxquels je peux être confronté…

Ses propos dégageant une assurance telle que celle dont jouissaient des gens blindés par les coups violents et impitoyables que donnait la vie lorsqu’elle en avait l’occasion, ils n’en restaient pas moins mélancoliques, déchirés, broyés… désespérés.

" Je suis sûre que malgré cela, il y a bien, une personne qui veillera sur vous... Si ce n’est même pas, plusieurs…"

Le regard droit vers l’horizon, ses yeux aux allures félines dans leur finesse ne quittant point ce trait rendu invisible par l’épaisseur de la nuit. Seules ces prunelles se tournaient vers Kazuo, iris sur le coté, regard en coin, un léger sourire sur ses lèvres. Toute la beauté d’Alexis Grace Williams dans sa plus grande simplicité. Etrangement, sans qu’elle puisse vraiment dire pourquoi, elle savait que dans le fond, il ne serait plus jamais vraiment embrassé par l’unique solitude. Bien sur, être beaucoup entouré, avoir énormément de compagnie, ne signifie pas toujours que votre âme n’est plus en exil. Au contraire, c’était curieusement souvent le cas. La jeune femme parlait ou plutôt songeait par expérience, par un certain vécu. C’était sûrement aussi le cas pour son interlocuteur. Ce jeune homme qui lui avoua qui n’avait pas cherché à fréquenter l’être humain. Il viendrait à faire des rencontres, et ces dernières lui apporteraient, un peu comme en cette soirée où son chemin avait croisé le fil romanesque de la vie de la représentante Guilty. Cependant un ciseau, un cutter, un couteau, une paire de crocs, tous objets tranchant ou non d’ailleurs, était prêt à couper son lien vitalesque. [< Ce mot n’existe pas dans la langue française, vous ne le trouverez pas en le tapant sur Google ou tout autre moteur de recherche. Je vais donc écrire une lettre à l’Académie Française pour faire ajouter ce mot que je trouve phonétiquement des plus beaux et intéressant au dictionnaire. 8D *PAN* Merci de votre compréhension.]

Posant ses mains sur les roches, elle se releva alors, s’aidant en poussant sur ses bras. Restant face à la mer lors d’une seconde. Debout, sur ses deux gambettes, qui se mouvaient alors, tournant sur elle-même pour maintenant faire dos à Kazuo. Elle remit correctement le col de son manteau de cuir noir, ses doigts le saisissant dans un geste rapide. Elle mit ensuite ses mains dans les poches arrière dans son pantalon de même consistance et de la même couleur que son blouson. Haussant doucement les épaules, fermant les yeux, balayant l’une des mèches de sa chevelure blanche, sa frange ensuite de ses ongles manucurés, elle poursuivit, sans bouger, sa silhouette se fondant presque dans l’obscurité qui les entourait :

" Si vous ne savez plus vers qui vous tourner, dites vous que vous pourrez toujours vous diriger vers l’ombre et trouver ma personne…"

Elle commença à marcher, quelques pas, sans trop s’éloigner du jeune homme. Le japonais qui la suivait alors de ses beaux yeux bleus. Il était déjà tard, elle pensa qu’il valait mieux qu’ils rentrent à la Shaded Academy. Alexis ne doutait pas de la prudence, de Kazuo en cette nuit, ni même du fait que lui aussi trainait souvent dehors le soir, qu’il pourrait se défendre dans un cas de menace et de danger, ainsi que retrouver la route du complexe scolaire. La jeune femme avait aussi l’habitude, la mauvaise habitude en ce moment de rester tard, aussi tard hors des bâtiments Guilty. Mais c’était plus fort qu’elle, ne supportant pas l’idée de rester enfermée, elle n’arrivait pas à dormir en général, elle avait des cycles de sommeil très particulier. Comme être en cage, elle ne pouvait pas. Elle lança alors à Kazuo, tout en l’attendant :

" Rentrons…"

Une fois qu’il fut arrivé à sa hauteur en approuvant sa proposition, ils prirent la direction de leurs appartements, marchant cote à cote dans la pénombre…

• Sujet clos.