"Ce jour-là a fuit depuis longtemps.
Morts sont les souvenirs d'antan.
Dispersés au souffle du vent,
Sauf le fantôme radieux
D'Alice, qui va sous les cieux
Que le rêve ouvrit à ses yeux."-De l'autre côté du miroir (traduit par Jacques Papy), Lewis Caroll
Une vie de rêve ? Dès le départ, cette possibilité lui avait été retirée. Elle avait pourtant fait de son mieux...A présent il est temps de tourner la page.
"Oh ephemeral soul
you conceal yourself in the depths of deception,
who have you continued to wait for in the deserted woods?" Née sur les bords de la Tamise de parents inconnus, Alice fut accueillie dans un couvent de Westminster jusqu'à l'âge de treize ans. Le révérend Duckworth, alors nommé prêtre du quartier en 1875 la pris sous son aile en tant que pupille et lui légua son nom.
Docile et calme quoiqu'un peu timide, Alice en l'absence du révérend passait ses journées le nez dans les livres de la bibliothèque de sa ville. Elle eu une éducation tardive qu'elle du cesser en catastrophe à l'âge de seize ans. En effet, la jeune fille semblait présenter quelques troubles du comportement inquiétants : tendance à se parler seule à voix haute, asociabilité, peur panique des adultes, pertes d'attention...Elle pouvait rester des heures entières, le regard perdu dans le vide à se réfugier dans son monde intérieur. Le révérend, après l'avoir faite sortir du système éducatif l'envoya alors travailler en tant que bonne dans la demeure de l'un de ses amis.
C'est à cet endroit qu'Alice fit la rencontre du jeune Robert Henderson, qui tomba éperdument sous le charme de la belle et mystérieuse domestique aux cheveux d'or.
Alice l'épousa à l'âge de 26 ans avec la bénédiction du révérend. Elle garda cependant le nom de son bienfaiteur au lieu de prendre celui de son époux.
Elle l'ignorait alors, mais parmi les invités se trouvait une certaine Alice Liddell, jeune femme de dix ans son ainée qu'elle ne devrait alors plus jamais revoir.
S'étant croisés au vin d’honneur, miss Lidell amusée par leur prénom partagé avait alors entamé la conversation.
Alice Duckworth appris alors qu'elle connaissait le révérend par le biais de l'un de ses amis, Charles Dodgson.
A l'évocation de ce nom, la mariée avait chancelé.
Après s'être renseignée, elle découvrit qu'il s'agissait un photographe de la famille des Lidell, ami d'Alice et de ses deux soeurs. Ensemble ils partaient souvent se balader en barque et pique niquer à l'extérieur. Souvent, Dodgson leur racontait des histoires abracadabrantesques dont les trois soeurs raffolaient.
"Mais cela remonte à bien longtemps" avait conclut la jeune femme avant de partir dans un grand éclat de rire.
Restée seule, Alice s'était sentie mal et avait du quitter la salle plus tôt que prévu.
Quelle était donc cette étrange impression de nostalgie ?
Elle s'était sentit alors plus seule que jamais et avait fondu en larmes pendant minutes avant que les convives ne la retrouve.
Elle se sentit mieux après avoir retrouvé son époux, lui raconta son histoire tout en reprenant ses esprits.
Cet incident mis à part, la nuit de noces se passa à merveille, et Alice emménagea avec Robert quelques temps plus tard.
Epouse douce et aimante, elle avait peu à peu perdu de sa timidité maladive et avait même réussi à trouver un poste d'enseignante de littérature dans le petit village d'Godstow.
Cependant, depuis le mariage elle ne cessait de se remémorer la discussion qu'elle avait eu avec "l'autre Alice" et continuait à s'interroger sur les raisons des sentiments qui l'avaient alors animés ce soir-là.
Un an plus tard elle découvrit "Alice au pays des merveilles", roman qu'elle n'avait alors par un hasard troublant encore jamais lu.
Après s'être renseignée, elle appris que l'auteur n'était autre que le fameux Dodgson, photographe des Lidell dont lui avait parlé Alice un an auparavant.
Il lui fallut une soirée pour terminer le roman. Soirée pendant laquelle elle s'était littéralement sentie transportée dans le livre. Chaque mot, chaque description, tout faisait vibrer en elle une flamme inconnue.
A tel point qu'il lui fallait parfois se reposer quelques minutes avant de reprendre sa lecture, tant la tête lui tournait plus elle avançait dans le récit.
Une sensation familière et pourtant indescriptible s'était emparée d'elle : c'était comme vouloir hurler au monde un secret gardé depuis des millénaires...sans y jamais parvenir.
A une heure du matin, elle referma la dernière de couverture, vidée de toute volonté. Elle resta ainsi assise encore quelques heures sans s'exprimer ni faire le moindre geste.
Lorsqu'elle sortit de sa léthargie le matin était déjà levé. Robert, connaissant le penchant de sa femme pour la lecture l'avait retrouvée et attendue le temps qu'elle se réveilla.
Machinalement, Alice avait alors reposé l'ouvrage dans la bibliothèque.
Et ne s'en était plus jamais approchée.
"Cet ouvrage" pensait elle quelques semaine plus tard "cet ouvrage est diabolique. je ne peux exprimer ce que j'ai ressenti à sa lecture mais rien de cela ne peut être...naturel. Je dois perdre la tête à nouveau."
Elle ne confia pas à son mari ce qu'il s'était produit ce soir-là, mais se doutant que quelque chose n'allait pas Robert redoubla d'attention envers sa bien-aimée.
Alice, malgré une certaine angoisse réussi à passer outre cet mésaventure et à vivre pleinement et paisiblement une existence tranquille.
Malheureusement pour elle, une suite de tristes évènements fit replonger Alice dans les ténèbres de sa pensée.
Le révérend Duckworth mourut à la suite d'une pneumonie, laissant à Alice une partie de sa fortune. Cependant, la famille du révérend étant terriblement endettée celle-ci fit main basse sur la majorité de cet héritage, ne laissant à Alice qu'une maigre partie de l'argent.
Un peu plus tard, Robert perdit son emploi et tous deux durent emménager dans un petit appartement peu confortable sous les toits.
L'emploi seul d'Alice ne suffisait pas toujours à assurer les fins de mois; et souvent elle et Robert devaient assurer des travaux supplémentaires en ville afin d'obtenir de quoi subsister.
Peu de temps après, Alice compris qu'elle ne pourrai jamais enfanter : après de nombreuses tentatives infructueuses elle et Robert s'étaient alors fait une raison : jamais ils ne pourraient goûter aux joies de la paternité.
Cette nouvelle mêlée à de nombreux autres tracas quotidiens plongèrent Alice dans une terrible dépression. On ne pouvait la regarder sans ressentir un profond sentiment de compassion envers elle.
Ayant perdu toute envie de vivre, Alice passa le plus clair de son temps libre à errer en ville.
Un jour, elle abandonna son foyer et son époux pour une destination d'elle-même inconnue. On aurait dit qu'elle avait perdu toute son essence vitale lorsqu'on la croisait, le regard vide dans le dédale de Londre et de sa banlieue.
Après quelques nuits à faire les poubelles et à dormir à la belle étoile, Alice arriva enfin devant la bibliothèque municipale. Malgré les protestations du gardien elle entra et se jeta sur la littérature pour enfants.
Elle le retrouva bientôt : la couverture était plus chatoyante que celle de la bibliothèque de Westminster, cependant l'ouvrage était bel et bien le même.
Elle s'enfuit avec, courant à en perdre haleine dans des rues dont elle ignorait totalement le nom.
Le gardien ayant prévenu la police, elle se fit bientôt rattraper et mise au cachot pour la nuit.
Perdue alors dans un délire le plus complet, Alice fut jugée inapte à attenter à son propre procès et on l'envoya dans un couvent afin qu'elle y retrouve sinon la raison, du moins un certain apaisement.
Alice Duckworth mourut le 5 janvier 1898 d'un mauvais rhume, vite transformé en une terrible bronchite qui l'emporta en une nuit.
Tout aurait du se terminer là.
On enterra Alice dans le cimetière jouxtant le couvent, personne ne vint pleurer cette folle sans famille.
Alors que son âme avait depuis longtemps quitté son corps, Alice fut ramenée à la vie de manière inexpliquée.
Cela avait commencé par des remous dans son esprit, comme les filets qu'un pêcheur ramènerait à lui. Puis, peu à peu sa conscience était revenue. Sans pouvoir pour autant se réveiller, Alice plongea alors dans un long, très long sommeil pendant lequel elle pu revivre une par une les aventures des romans qu'elle avait dévoré tout au long de sa vie, depuis son premier livre d'images au livre de Dodgson.
C'est vrai, après ce jour elle n'avait plus eu l'occasion de se plonger à nouveau avec autant de passion dans la lecture...
Le rêve s'achevait, Alice du Pays des merveilles s'éveillait et rejoignait sa soeur pour l'heure du thé.
Mais au lieu de cela elle resta immobile.
"Alors, qu'en dis-tu ?"
La voix résonna dans l'esprit embué de la défunte.
"Que...je te demande pardon ?"
"J'ai dis, qu'est-ce que tu en penses ? "
"Ce...ce que j'en pense...?"
"De cette histoire...ça te dirait de la poursuivre ?"
"Qui es-tu, je suis dans un rêve n'est-ce pas ?"
"C'est un rêve...tout comme ça n'en n'est pas un. Je suis toi, ou plutôt, tu es moi avant que ta conscience ne s'éveille. Et cette conscience donc, c'est moi. C'est un peu compliqué et cliché n'est-ce pas ?"
"..."
"Tu es l'incarnation d'une idée, une idée qui a périt le jour du décès de son créateur. Mais tu sais, cette idée, elle n'est pas morte. Tu peux continuer à vivre si c'est ainsi que tu l'entends. Tu es Alice, la première et la dernière des Alice. Lorsque notre histoire sombrera à jamais dans l'oubli, nous disparaitront de cet univers. Mais d'ici là, tu as le temps de mener une paisible existence crois-moi !"
"Mais...je suis..."
"Miss Duckworth est officiellement décédée le 5 janvier 1898. Ce n'est pas juste. Tu ne devais pas mourir. Pas en même temps que lui. Nous continuons d'exister, nous n'aurions pas du mourir si tôt."
"Que faire ?"
Alice contempla l'âme recroquevillée sur elle même depuis si longtemps.
"Partons. N'importe où, tant que l'on peut s'amuser. Nous ne sommes qu'une, mais à cause de cela tout est parti de travers.
J'ai une dernière chose à te demander...
Es-tu prête à mourir une dernière fois quand l'heure sera venue ? A mourir pour moi, la fantaisie qui t'es si chère et si intimement liée ?"
"Je...ne sais pas...oui, je pense que oui. Je ne voulais pas mourir à cet âge c'est certain. S'il m'est possible de tout recommencer, quelque que soit la vie que je dois mener..."
"Bien, dans ce cas je vais te donner un coup de main. Tu es prête ?"
"...je suis prête."
Alice tendis la main. Le terrier du lapin...la sortie...
Elle bascula en avant.
"We are living our lives.
Abound with so much informations..." Le cimetière avait été partiellement détruit. Autour d'elle des herbes folles se battaient entre elles pour savoir qui serait la première à prendre le dessus sur sa tombe.
Le temps...avait passé.
Alice s'examina : elle ne semblait pas avoir vieilli, ses membres étaient juste un peu raides. Pourtant, elle savait qu'il s'était écoulé des années depuis son enterrement.
Elle sentait en elle une force nouvelle, ce quelle n'était alors pas parvenu à exprimer des années auparavant : sa véritable identité.
"Ca va, bien remise ?"
Alice sursauta.
"Je...où es-tu ?"
"Dans ta tête évidemment, cette question. On va devoir se partager la place maintenant, ne t'en fais pas, je ne suis pas du genre à m'étaler."
"Euh, eh bien..."
Alice constata soudain que son apparence était différente. Ses longs cheveux blonds avaient perdu de leur éclat et tendaient plus vers le blanc que vers le doré, son teint avait pâlit, elle semblait plus jeune, et elle si elle avait gagné en taille en revanche sa poitrine...
-Qu'est-ce qu'il m'est arrivé ??!
S'exclama t-elle en se redressant soudainement
"Ah ça, ce sont les effets secondaires, tu n'as plus qu'à t'y faire parce que tu vas conserver cette apparence un sacré bout de temps !"
"..."
"Alors...On y va ?"
Avisant un morceau d'ardoise effilé issue d'une plaque aux trois-quarts effacée, Alice empoigna d'une main sa longue masse de cheveux. D'un geste lent elle en coupa une grande partie qui tomba sans un bruit sur le marbre de la dalle mortuaire.
"On y va."
Elle partit.
Il n'y a jamais eu de lycoris dans ce cimetière.
Mais les margerites elles, ont pris le pas sur les pissenlit. Dans quelques années, ce lieu si triste deviendra un splendide jardin.
Commença alors une nouvelle vie.
Après avoir vendu quelques effets laissés par les bonnes sœurs dans sa tombe, Alice pu se trouver un petit boulot et un logement modeste. Tout autour d'elle l'émerveillait, après tout elle venait de faire un bon monstrueux dans le futur.
Elle pris la précaution de changer d'identité. Elle choisit Elisabeth, du nom de la mère du révérend qu'elle avait toujours aimé, et Alice choisit Dodgson, du nom de leur créateur.
Elisabeth rattrapa le temps perdu en se documentant autant que possible et en passant ses heures de pauses à feuilleter le journal.
Une petite annonce attira leur attention. On avait besoin d'un bibliothécaire dans une école...plutôt, une académie spécialisé. L'hébergement et les repas étaient compris dans l'offre. Un numéro était laissé pour plus de compléments.
Elisabeth, avec le soutien d'Alice postula le soir-même.
La personne qui lui répondit la fit attendre un instant avant de lui demander :
"Croyez-vous madame au surnaturel et au paranormal"
Elisabeth tomba des nues.
"Quelle question..."
"Alors ?"
"Oui, oui j'y crois."
"Bien, et êtes-vous liée d'une manière ou d'une autre à l'un de ces phénomènes ?"
La jeune femme après un temps d'hésitation allait raccrocher lorsqu'Alice lui chuchota à l'oreille :
"Ce n'est pas une école comme les autres...quelque chose s'y trame...et je veux savoir quoi...alors dis-lui la vérité !"
Elisabeth avoua tout de but en blanc à son interlocutrice. Après un moment de silence la voix demanda :
"Vous seriez disponible à partir de quand mademoiselle Dodgson ?"
Dès le premier rendez-vous Elisabeth fut soumise à une série de tests bizarres et le dirigeant de l'établissement lui posa une foule de questions, notamment au sujet de ses nouveaux pouvoirs.
L'entretien terminé, Elisabeth appris qu'elle n'était pas un cas isolé et que l'on nommait les êtres de sa condition des "Mythiques".
Après une nouvelle batterie de tests visant plus à lui trouver le poste le plus adéquat qu'à tester ses connaissances, Lizbeth fut à son grand soulagement nommée responsable de la bibliothèque.
Très vite, elle mémorisa l'ensemble des lieux et se fit sa petite place dans l'établissement.
Même si tout semble aller pour le mieux, Elisabeth semble de plus en plus sujette à des insomnies et crises de somnambulisme.
Alice cherche.
Et Elisabeth ne comprend pas.
Commença a lors une vie singulière et pleine de surprises dans le nouveau, et dernier refuge de la défunte Alice Duckworth...
"Welcome to the Velvet library !"