Pourquoi toujours devoir signer de la paperasse la plupart du temps inutile ? De plus, les pensées du démon dérivaient depuis une certaine rencontre vers elle. Karl avait même rêvé d’elle une ou deux fois depuis que la jeune femme était venue dans son bureau. C’était étrange et nouveau d’ailleurs pour le Doyen, habituellement, il se fichait pas mal des autres personnes – surtout des humains – mais, elle était différente, il connaissait son dossier mais il y avait autre chose qu’il ne pouvait qualifier. C’était d’ailleurs, peut être la raison de son agacement, rien n’y faisait, le démon plus que centenaire n’arrivait pas à se concentrer sur quoi que se soit.

Laissant là ses pensées stériles et idiotes, l’homme se leva d’un bon, tapota sur son costume taillé sur mesure hors de prix pour le défroisser, posa ses lunettes sur le dossier ouvert, un élève moyen qu’il allait d’ailleurs refuser et le Doyen contourna son bureau de bois vernis. Eteignant sa lampe, il prit son manteau – non pas qu’il en avait réellement besoin mais pour parfaire son style, Karl devait le porter – le démon salua d’un hochement de tête ses secrétaires et sortit dans le couloir de l’Academy, direction la ville, il avait envie de se distraire, notre démon.

Se recoiffant au détour d’un miroir, Karl sortit de l’école d’un pas rapide et léger, comme toujours. Les étoiles éclairaient le ciel et tenaient compagnie à la lune en cette belle soirée. Descendant dans la ville, laissant le vent lui caresser le visage avec délice et son nez humer les odeurs ambiantes, il laissa un sourire échapper entre ses lèvres fines et parfaites. Pourquoi cette jeune étudiante particulièrement ? Qu’avait-elle de plus ? Question idiote. Elle avait la grâce, l’intelligence et la distinction qui faisait frémir le démon. Cela lui donnait même l’impression d’être humain, de pouvoir sentir son cœur battre normalement, d’être mortel.

Choses idiotes, c’était un démon, un être à l’âme plus noire que la nuit, une créature préférant le sang à n’importe quelle caresse, un monstre. Il s’était toujours vu ainsi et, honnêtement, il s’en fichait réellement. Pourquoi ? Parce que sa mère lui avait appris à être fier et à ne jamais renier ses origines démoniaques. Puis, il était devenu une référence dans la congrégation et il se devait de tenir ce rang important d’une main de fer. Tripotant son collier avec indifférence, le démon finit par s’arrêter au milieu d’une ruelle, bien conscient qu’on le suivait et cela l’agaçait fortement d’ailleurs. Ne pouvait-il pas avoir la paix au moins une soirée ? Attendant simplement que la personne approche, il se tenait prêt à la plaquer contre le mur de briques usées et peut être même, le tuer.

Etant comme habituellement sur ses gardes, Karl ne fut pas surpris de rencontrer une aura aussi étrange et, ce qui l’inquiéta d’avantage c’est qu’il la sentait venir à toute vitesse vers lui, ça, ça sentait mauvais ! Le démon ajusta son manteau rapidement pour ne pas se salir et au moment opportun, mettre fin à la vie de celui qui osait l’attaquer. Enfin, il voulait déjà être sur que cet inconnu ou inconnue d’ailleurs, soit là pour lui nuire et pas pour fuir une quelconque personne.

Il la sentait se rapprocher, cette aura, encore toujours plus prêt et dès qu’elle fut à portée de main, Karl se retourna, prit la gorge entre sa main chaude et plaqua le corps de la personne contre le mur de brique crasseux. Il était doté d’une force inouïe et n’en faisait usage que lors de rares cas, la parole étant bien plus forte que des poings. Cependant, lorsque le démon reconnu le visage encadré de cheveux blonds et des jolies boucles dorées. Et cette odeur, cette douce et agréable odeur, les doigts du démon relâchèrent un peu la pression alors qu’il reconnu la jeune femme.

-Alexis…

Sans prêter réellement attention, il l’avait appelé par son prénom, observant de haut en bas la robe délabrée de la jeune étudiante, le démon fronça les sourcils. Pourquoi une femme aussi distinguée que Miss Williams était elle en guenille et surtout en tenue de célébration ? La gardant contre le mur par instinct, Karl la fixa de ses yeux démoniaques.

-Que s’est-il passé ?

Bien entendu, le changement d’aura de la jeune femme n’était pas passé inaperçu et cela perturbait énormément le Doyen, se rappelant parfaitement de la précédente. Lentement, il retira les doigts du cou délicat de la jeune femme, si tant est qu’elle en soit encore une. Le démon la lâcha finalement définitivement et l’observa de haut en bas, contemplant le vestige de ce qui devait être une jolie robe de mariage. Cependant, malgré ce changement brutal, il n’avait pas peur, un démon n’avait jamais peur – sauf de ses semblables.

Dans un geste surprenant et qui lui était venu naturellement, Karl prit la jeune femme dans ses bras, lui caressant le dos avant de retirer son manteau et de lui poser sur les épaules avec élégance et délicatesse.

-Nous allons parler de cela tranquillement, venez, jeune fille.

La prenant par les épaules dans un geste protecteur, il commença à marcher vers une porte en bois, la seule porte de la ruelle à dire vrai. Karl ne voulait pas obliger la belle étudiante à le suivre mais il comptait bien ne pas la laisser dans cet état à une heure si avancée de la journée.